« Je suis, nous sommes Ivan Golounov », pouvait-on lire lundi 10 juin à la « une » des quotidiens russes, « RBK », « Vedomosti » et « Kommersant ». / SHAMIL ZHUMATOV / REUTERS

« Je suis, nous sommes Ivan Golounov. » La « une » commune publiée, lundi 10 juin, par les trois plus influents quotidiens russes – RBK, Vedomosti et Kommersant – témoigne de l’ampleur du mouvement de soutien en faveur du journaliste Ivan Golounov, arrêté la semaine dernière pour trafic de drogue.

Journaliste du site d’information Meduza, réputé pour ses enquêtes sur la corruption à la mairie de Moscou ou les malversations dans des secteurs opaques comme le microcrédit ou les pompes funèbres, Ivan Golounov a été arrêté, jeudi, dans le centre-ville de Moscou.

Quatre grammes de méphédrone – une drogue de synthèse – ont été trouvés dans son sac à dos, selon les policiers, qui assurent avoir découvert ensuite d’importantes quantités de drogue en perquisitionnant son appartement. Selon la police, le journaliste avait tenté de vendre « une quantité importante » de cocaïne et de méphédrone.

« Nous estimons que les preuves de culpabilité d’Ivan Golounov, fournies par les enquêteurs, ne sont pas convaincantes et que les circonstances de son arrestation font beaucoup penser qu’elle se soit déroulée avec violation de la loi », soulignent RBK, Vedomosti et Kommersant dans leur déclaration commune. « Nous n’excluons pas que l’interpellation et l’arrestation de M. Golounov soient liées à ses activités professionnelles. »

Les trois rédactions « exigent une vérification détaillée des actes des policiers impliqués dans l’arrestation d’Ivan Golounov (…) et une transparence maximale lors du déroulement de l’enquête ». « Nous allons suivre attentivement l’enquête (…) et exigeons que la loi soit respectée par tout le monde et pour tout le monde », ajoutent-elles.

Nouvelle étape dans les pressions contre les médias

Depuis l’arrestation de M. Golounov, de nombreux confrères, y compris des médias officiels, mais aussi des artistes et responsables politiques, lui ont apporté leur soutien. Depuis vendredi, des Russes se succèdent devant le siège de la police moscovite pour manifester, chacun leur tour, avec une pancarte, la seule forme de manifestation en Russie qui ne nécessite pas d’accord préalable des autorités.

Pour beaucoup de journalistes et d’ONG de défense de la presse, l’arrestation d’Ivan Golounov, qui encourt jusqu’à vingt ans de prison, constitue une nouvelle étape dans les pressions dont font l’objet les médias en Russie.

Les télévisions publiques ont largement couvert l’affaire, n’hésitant pas à pointer les incohérences de la police. La rédactrice en chef de la télévision RT, Margarita Simonian, a publié une déclaration de soutien à Ivan Golounov, demandant aux autorités de répondre à « toutes les questions qu’a la société » sur l’affaire.

Même la médiatique porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a semblé prendre position pour le journaliste et a publié sur sa page Facebook un lien vers un article dans lequel la police reconnaît que certaines photos, présentées comme venant de la « scène du crime » et montrant un véritable atelier de fabrication de drogue, n’avaient pas été prises dans l’appartement d’Ivan Golounov.

Le Kremlin « suit très attentivement » l’affaire

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a, pour sa part, réagi lundi en assurant « suivre attentivement » l’affaire, reconnaissant que « ce cas fait naître beaucoup de questions ». Il a toutefois refusé de blâmer le système judiciaire, estimant que ce serait « injuste » de le faire.

Samedi soir, des centaines de personnes s’étaient rassemblées autour du tribunal où un juge devait se prononcer sur l’incarcération demandée par l’accusation. Audibles dans la salle d’audience à l’énoncé du verdict, des cris de joie ont éclaté quand le juge a prononcé son assignation à résidence.

« Ivan a été libéré de prison et placé en résidence surveillée et ce succès est le résultat d’une campagne d’action sans précédent contre son arrestation illégale. Nous n’avions pas vu depuis de nombreuses années une telle solidarité journalistique » en Russie, se réjouit le rédacteur en chef de Meduza, Ivan Kolpakov.