Démonstration du xCloud chez Microsoft, au salon E3 2019 du jeu vidéo. / Michaël Szadkowski / Le Monde

Nouveaux services de « cloud gaming » (les jeux en streaming qui tournent à distance), offres par abonnement, concurrence de Google avec le projet Stadia… Le marché et la distribution du jeu vidéo sont en plein chamboulement. Et le constructeur de la Xbox, Microsoft, en a donné de nombreux signaux dans le cadre de sa conférence du 9 juin lors de l’E3 2019 (le Salon annuel du jeu vidéo de Los Angeles).

Le directeur de la division Xbox France, Hugues Ouvrard, a répondu aux questions du Monde sur le sujet, directement sur le Salon, lundi 10 juin.

Certains semblent être déçus du manque d’annonces de nouveaux jeux vidéos lors de cet E3 2019. Mais on sent également que des tendances de fond se redessinent sur le marché et la distribution des jeux. Comment avez-vous abordé cette édition ?

Hugues Ouvrard : Il y a eu une grande évolution. Avant, on parlait principalement de jeux sur consoles. Mais cette année, Microsoft a fait une conférence sur le futur de son offre de jeux. La vision est de pouvoir donner le choix aux joueurs de pouvoir vivre l’expérience Xbox, quelle que soit leur manière de jouer. Xbox n’est plus une marque de console mais une expérience de jeu.

On avait donc quatre grands points : les nouveaux jeux, mais aussi l’abonnement Game Pass, le cloud gaming et notre nouvelle machine (le projet Scarlett). Ce programme, et cette répartition, n’auraient pas pu exister il y a quelques années. Conséquence, nous devons mieux expliquer nos annonces que d’habitude. Sur le cloud gaming, par exemple, il faut être très didactique.

C’est vrai qu’il y a de quoi se poser des questions. Diffuser par exemple son jeu depuis sa console Xbox One (ce qui sera testé pour certains utilisateurs à partir d’octobre 2019), sera-t-il gratuit ?

Oui. Cela s’appelle le « console streaming », et cela transforme une console en serveur capable de diffuser un jeu. C’est différent du projet xCloud, où les jeux tourneront sur nos serveurs (ce qui nous coûte de l’argent).

Avec le console streaming, un jeu qui tourne sur la console du joueur peut ensuite être joué par lui sur tous les écrans. Cela fonctionnera partout ailleurs, dans le bus, dans le train, dans son jardin. Mais on pourra aussi seulement diffuser un jeu sur un smartphone, une tablette ou un PC à côté de soi dans son salon, afin de laisser un autre membre de sa famille regarder l’écran de télévision, pendant qu’on continue notre partie sur console.

On se dirige vers une époque qu’on a envie de qualifier de « post-console ». Vous allez directement au contact avec les joueurs, sans forcément vous embarrasser d’une machine comme intermédiaire…

Je ne dirais pas ça. Les joueurs sur console représentent 200 millions de personnes dans le monde. C’est-à-dire seulement 10 % des joueurs. Il y a à côté 500 millions de joueurs sur PC et 1,3 milliard sur smartphone. Ce qu’on essaye de faire, c’est de s’adresser à tous ces joueurs pour les connecter et qu’ils puissent parvenir à jouer entre eux malgré des pratiques différentes.

Aujourd’hui, ils sont très séparés. Et il y aura toujours une petite partie des joueurs qui seront sur console. C’est la meilleure expérience de jeu, et dans les deux ou trois années à venir, ce sera toujours le cas. Pour diverses raisons, le cloud va prendre du temps à se mettre en place. Mais quand ça arrivera, il faudra penser à tous les gens qui n’ont jamais joué sur console, notamment les joueurs sur mobile. On a envie de les faire venir dans l’expérience Xbox, mais eux voudront rester sur mobile. C’est là qu’interviendra le cloud gaming, selon moi, pour déployer les jeux autrement.

Microsoft est traditionnellement le concurrent de Sony. Mais aujourd’hui, avec le cloud, on peut voir se dessiner une concurrence entre deux fournisseurs de tuyaux, deux constructeurs d’autoroutes du streaming : Microsoft et Google. Vous êtes d’accord avec ça ?

A l’avenir, le standard sera le cloud gaming, peu importe le moyen. Le joueur choisira certes l’écran sur lequel tournera le jeu, mais on est tous d’accord que l’important sera d’apporter la donnée au joueur. Parmi les personnes qui maîtrisent aujourd’hui le cloud sur cette planète, il y a très peu d’entreprises. Microsoft, Amazon, Google, mais aussi IBM ou Tencent.

Et au sein de ces acteurs, il y en a un qui se trouve dans les leaders du jeu vidéo : Microsoft. Sony nous a fait confiance pour son service de cloud gaming, Ubisoft aussi. Et si on peut construire des autoroutes, il faudra ensuite des gens dessus. Microsoft a déjà 60 millions de joueurs sur Xbox Live dans le monde, ce n’est pas le cas des autres acteurs du cloud. Ils partent aussi quasiment de zéro en termes de communauté. Et il leur faudra encore fournir du contenu derrière. Chez Microsoft, nous pouvons déjà le faire avec nos studios.

Microsoft aura-t-il vocation à fournir d’autres productions que les siennes ? Par exemple, celles d’Ubisoft ? Les vieilles frontières vont-elles se brouiller ?

On prône les passerelles entre les plates-formes depuis des années. On le met en pratique avec le PC, ou encore avec nos amis de Nintendo, sur Minecraft par exemple, mais aussi Rocket League, et Fortnite, qui sont multiplates-formes. La clé est de savoir à quoi le joueur a envie de jouer, et avec qui. Si un joueur en Afrique est sur un jeu en cloud de Microsoft sur smartphone, et qu’il veut y jouer avec son cousin à Bordeaux qui est sur une plate-forme, il doit pouvoir le faire. Est-ce qu’on se poserait la question de savoir si une série télévisée n’est visible que sur certaines marques de téléviseurs et pas d’autres ? Non.