YouTube a provoqué une polémique en refusant de supprimer des vidéos contenant des propos homophobes. / Dado Ruvic / REUTERS

« Je présente mes excuses aux personnes que nous avons pu blesser. » Lundi 10 juin, la patronne de YouTube, Susan Wojcicki, a fini par s’exprimer sur une polémique qui agite depuis une dizaine de jours la plate-forme de partage de vidéos.

Tout est parti d’un Tweet de Carlos Maza, chroniqueur pour le média américain Vox, publié le 31 mai. Il y accuse l’animateur conservateur Steven Crowder – 3,9 millions d’abonnés sur YouTube – de s’acharner contre lui : « Chacune de ses vidéos contient des attaques manifestes et répétées sur mon orientation sexuelle et mes origines. » Le message est accompagné d’un montage accumulant les séquences qu’il dénonce.

« Ces vidéos font des millions de vues sur YouTube », poursuit-il dans une longue série de Tweet. « A chaque fois qu’une nouvelle vidéo est mise en ligne, je découvre à mon réveil une avalanche de messages racistes et homophobes sur Twitter et Instagram. » Mais Steven Crowder n’est pas celui qui le met le plus en colère :

« Je suis terriblement fâché contre YouTube, qui affirme soutenir les vidéastes LGBT, et a un règlement très clair contre le harcèlement. Ca fait des années que ça dure, et j’ai signalé cette merde à plusieurs reprises. Mais YouTube n’appliquera jamais son propre règlement parce que Crowder a 3 millions d’abonnés sur YouTube, et qu’appliquer leurs règles pourrait leur valoir des critiques les accusant de biais anticonservateurs. (...) YouTube n’en a rien à foutre des créateurs queers. (...) YouTube veut juste faire du clic. »

« Les vidéos n’enfreignent pas notre règlement »

La charge, très violente a l’égard de YouTube, fut remarquée, et partagée des milliers de fois sur Twitter. Au point que YouTube, chose inhabituelle, lui répondit publiquement quelques jours plus tard :

« Nos équipes ont passé ces derniers jours à analyser en profondeur les vidéos signalées, et bien que nous ayons constaté que les propos étaient clairement blessants, les vidéos publiées n’enfreignent pas notre règlement. (...) Même si la vidéo reste sur le site, cela ne signifie pas que nous approuvons le point de vue qu’elle défend. »

La décision a envenimé la situation, s’attirant les foudres de youtubeurs, mais aussi, en interne, d’employés de YouTube. Quelques heures plus tard, l’entreprise a finalement annoncé qu’à défaut de supprimer les vidéos, elle allait démonétiser la chaîne de Steven Crowder – ce qui signifie que plus aucune publicité ne s’y affichera, privant le chroniqueur des revenus liés à son activité sur YouTube. « Nous avons pris cette décision car plusieurs comportements choquants ont fait du mal à la communauté, et enfreignent les règles de notre programme partenaires [qui permet de monétiser les chaînes] », explique YouTube.

Une décision hasardeuse, qui a remis en lumière les errements de la plate-forme en matière de modération : règles floues, application changeante, échelle des sanctions opaques…

La question du contexte

Lundi, Susan Wojcicki, qui dirige YouTube, s’est enfin exprimée sur cette polémique, à l’occasion d’une conférence à Scottsdale, dans l’Arizona. A plusieurs reprises, elle s’est excusée d’avoir blessé la communauté LGBT, et a réaffirmé son soutien. Mais a refusé de revenir sur sa décision. « C’est juste que du point de vue du règlement, nous devons être cohérents, car si nous supprimons ces contenus, il y a énormément d’autres contenus que nous devrons supprimer, a-t-elle défendu, en insistant sur l’importance du contexte dans lesquels les propos incriminés sont tenus. Si vous regardez les contenus publiés en ligne, vous trouvez du rap, des émissions nocturnes, beaucoup d’humour, et vous y trouverez des remarques racistes et des commentaires sexistes. Si nous devons supprimer chacune de ces vidéos »

Dans un communiqué publié il y a quelques jours, l’entreprise avait expliqué que « les seuls qualificatifs racistes, homophobes ou sexistes » ne contrevenaient pas à ses règles. « C’est quand le but premier de la vidéo est la haine ou le harcèlement » qu’elle est interdite sur le site. Or, ce que dénonce précisément M. Maza, ce sont plutôt des séries d’incitation au harcèlement glissées au fil de nombreuses vidéos.

« En tant que plate-forme ouverte, nous hébergeons parfois des opinions que beaucoup, y compris nous, peuvent trouver nauséabondes. Elles peuvent se trouver dans des stand-up subversifs, dans une chanson à succès ou dans un discours politique – et autres. De courts extraits de ces vidéos, montés les uns à côté des autres, dessinent une image troublante. Mais, prises individuellement, elles ne dépassent pas toujours les limites. »

L’entreprise a laissé entendre qu’elle comptait faire évoluer, dans les prochains mois, son règlement sur le harcèlement. En précisant que le harcèlement entre youtubeurs devenait un problème de plus en plus important pour la plate-forme.