Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, lors de son audition devant le Sénat des Etats-Unis, le 10 avril 2018. / SAUL LOEB / AFP

Facebook, Google et Twitter doivent-ils rémunérer les éditeurs de presse pour utiliser leurs contenus ? La question a été tranchée en Europe, avec l’adoption, le 26 mars, de la directive européenne sur le droit d’auteur, qui impose aux grandes plates-formes du Web de rétribuer les médias dont elles exploitent les articles. Elle se pose désormais de l’autre côté de l’Atlantique, où les journaux américains accentuent leur pression sur Google et Facebook pour les contraindre à un meilleur partage des revenus publicitaires générés par leurs articles.

C’est sur le terrain législatif que l’industrie des médias entend mener cette bataille. Mardi 11 juin, plusieurs de ses représentants seront entendus par la commission des lois antitrust de la Chambre des représentants. Leur objectif est d’obtenir une dérogation au droit de la concurrence pour être autorisés à négocier collectivement face à Google et Facebook, sur le partage de leurs recettes, la visibilité des contenus sur ces sites, et le contrôle des données d’audience. « Le pouvoir de négociation des entreprises technologiques est tellement immense que les éditeurs ne sont pas en mesure d’obtenir des accords équitables », a estimé sur CNN Sally Hubbard, du cercle de réflexion antitrust Open Markets Institute, avant son audition.

Un vent favorable pourrait profiter à ce projet de loi. Déposé en 2018 par le démocrate David Cicilline, il est resté lettre morte depuis, mais M. Cicilline est aujourd’hui le président de la commission des lois antitrust de la Chambre des représentants. Une loi similaire a par ailleurs été proposée le 3 juin au Sénat. Surtout, fait rare actuellement, ces deux textes de loi bénéficient du soutien bipartisan d’élus démocrates et républicains.

Dans un ultime effort de lobbying à la veille des auditions au Congrès, la News Media Alliance (NMA), un syndicat d’éditeurs qui regroupe près de 2 000 journaux aux Etats-Unis et au Canada, a publié lundi une étude selon laquelle Google aurait touché 4,7 milliards de dollars (environ 4,2 milliards d’euros) de revenus publicitaires en 2018 grâce aux articles de presse proposés sur son moteur de recherche et son onglet Google Actualités. Un chiffre proche du total des recettes publicitaires en ligne des médias américains, estimé à 5,1 milliards de dollars.

« Les éditeurs ont besoin de continuer à investir dans un journalisme de qualité, et ils ne peuvent pas le faire si les plates-formes prennent [les contenus] qu’elles veulent sans payer pour ça », a fustigé David Chavern, le président de la NMA.

Chute des ventes papier

La méthodologie de cette étude est toutefois contestée : ses résultats ont été extrapolés à partir de données datant de 2008, et Google Actualités ne diffuse pas de publicités. Ces imprécisions rappellent toutefois la difficulté de mesurer le poids de la plate-forme dans ce secteur, tant Google reste opaque sur son modèle économique et son algorithme.

Près d’un journal sur cinq a disparu aux Etats-Unis depuis 2004 et les rédactions ont vu leurs effectifs fondre de 45 % entre 2008 et 2017

Les déboires de la presse américaine sont, eux, bien chiffrés. La chute des ventes papier depuis une dizaine d’années n’a pas été compensée par la publicité en ligne et les abonnements numériques, sauf pour quelques titres prestigieux comme le New York Times et le Washington Post.

Près d’un journal sur cinq a disparu aux Etats-Unis depuis 2004 et les rédactions ont vu leurs effectifs fondre de 45 % entre 2008 et 2017, selon une étude du Pew Research Center publiée en 2018. Une crise encore vive dans les différents types de média, alors que les sites BuzzFeed, Vice, HuffingtonPost et les journaux des groupes McClatchy et Gannett ont annoncé des vagues de licenciements ces derniers mois.

Cette crise est en partie due à la mainmise de Google et Facebook – et de plus en plus d’Amazon – sur les revenus de la publicité. Le duopole absorbera 59 % des investissements des annonceurs en 2019, d’après le cabinet eMarketer.

Face aux attaques des dirigeants de journaux, Google et Facebook rappellent investir dans différents fonds pour soutenir l’information locale, et font valoir que l’essentiel du trafic en ligne des médias provient de leur plate-forme. « Chaque mois, Google Actualités et notre moteur de recherche génèrent dix millions de clics sur les sites des médias, ce qui engendre des abonnements et des revenus publicitaires significatifs », a indiqué Google au Monde, en réaction à l’étude de la NMA. Un argument que les géants californiens ne manqueront pas d’appuyer auprès du législateur, pour ne pas se voir infliger par le Congrès américain un échec semblable à celui subi au Parlement européen.

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