Un manifestant brandit un masque représentant Lula, le 10 juin à Brasilia. / ADRIANO MACHADO / REUTERS

La Cour suprême du Brésil a reporté sine die le jugement d’une demande de libération de l’ex-président Lula prévu mardi 12 juin, deux jours après des révélations sur la partialité de ceux qui l’ont condamné pour corruption.

Cette demande faisait partie de sujets à l’ordre du jour de cinq des 11 juges de la Cour suprême réunis mardi, mais la session s’est achevée sans qu’il ne soit abordé.

Dimanche, dans des articles explosifs, le site internet The Intercept a dénoncé des manœuvres de responsables de l’enquête anticorruption « Lavage express » pour empêcher l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva de se présenter à la présidentielle de 2018, pour laquelle les sondages lui promettaient la victoire.

Des échanges sur la messagerie Telegram rendus publics par ce site d’investigation montrent que le ministre de la justice Sergio Moro, alors juge chargé des dossiers de « Lavage express » et normalement tenu à la plus totale impartialité, a fourni conseils et directives aux procureurs en défaveur de Lula.

Recours

En juillet 2017, Sergio Moro avait condamné en première instance l’ex-président de gauche, pour corruption et blanchiment d’argent. Un an et demi plus tard, il a abandonné la magistrature pour rejoindre le gouvernement du président d’extrême droite Jair Bolsonaro, élu fin octobre.

Selon des analystes, les révélations d’Intercept ont motivé l’inscription à l’ordre du jour de l’examen de la demande de libération de Lula, qui était initialement prévu dans les prochaines semaines.

Le jugement n’a finalement pas eu lieu, mais les magistrats de la Cour suprême ont fixé au 25 juin le jugement d’un autre recours de la défense de l’ex-président visant à obtenir sa libération.

Ce recours, qui remet justement en cause l’impartialité de Sergio Moro en raison de sa présence ultérieure au gouvernement, a été déposé bien avant les révélations d’Intercept. Certains analystes considèrent qu’il aurait plus de chances d’aboutir que celui qui devait être jugé mardi et qui portait sur des critères plus techniques. Il pourrait aussi revenir à l’ordre du jour le 25 juin.

« Confiance totale »

En attendant que la Cour suprême tranche sur le cas Lula, le scandale autour de « Lavage Express » a exacerbé la polarisation de la population brésilienne déjà fortement divisée au moment de la présidentielle de 2018.

Si les appels à la démission du ministre Moro ont fusé, aussi bien de la part d’éditorialistes des grands médias que sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes réclamaient l’expulsion du journaliste américain Glenn Greenwald, cofondateur de The Intercept et qui réside au Brésil.

Mais les Brésiliens ne semblaient pas particulièrement choqués par ces révélations. Une manifestation en faveur de Lula n’a réuni que quelques dizaines de personnes lundi soir à Brasilia. « La population en général semble considérer que des barrières éthiques ont été franchies, mais cela ne devrait pas susciter le même degré d’indignation que des scandales de corruption », explique Robert Muggah, directeur de recherche à l’institut Igarape, un centre de réflexion ayant son siège à Rio de Janeiro.

Le président Bolsonaro a affiché son soutien à son ministre, qui était à ses côtés mardi à l’occasion d’une cérémonie militaire à Brasilia.

« Pas de jugement impartial »

La défense de Lula, pour sa part, espère renverser la vapeur, après avoir vu la plupart de ses recours rejetés. « Ces articles ne font que renforcer le fait que l’ex-président n’a pas eu droit à un jugement impartial », a affirmé mardi l’avocat Cristiano Zanin après avoir rendu visite à Lula dans sa prison de Curitiba (sud). Il a ajouté que Lula « avait été surpris par la rapidité avec laquelle la vérité était révélée ».

L’ex-président de gauche (2003-2010) purge depuis avril 2018 une peine de huit ans et 10 mois de prison pour corruption et blanchiment d’argent.

Accusé d’avoir reçu un appartement en bord de mer de la part d’une entreprise de bâtiment pour la favoriser dans l’attribution de marchés publics, il a toujours clamé son innocence, s’estimant victime d’un complot pour l’empêcher de revenir au pouvoir.

Célèbre pour avoir rendu publiques les révélations d’Edward Snowden sur l’agence américaine de renseignement NSA, Glenn Greenwald avait interviewé Lula, de sa prison, le mois dernier.

Il est marié à David Miranda, un député de gauche qui a remplacé au Parlement Jean Wyllys, un des principaux défenseurs de la cause LGBT au Brésil. Ce dernier s’est exilé en début d’année, se sentant menacé depuis l’élection de Jair Bolsonaro, coutumier des dérapages homophobes.