Une ville « juste comme un nénuphar », s’épanouissant non pas sur une étendue d’eau douce mais à la surface des océans, tel est le concept imaginé par le géant nippon de la construction Shimizu et baptisé « Green Float » pour répondre au défi environnemental et démographique de l’extension urbaine.

Le groupe, déjà engagé sur les smart cities et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, a choisi de se concentrer sur le potentiel des vastes étendues maritimes, qui couvrent 70 % de la surface de la Terre. Il travaille depuis 2008 sur ce concept aux allures de défi technologique à la fois pour la flottaison (float) et l’aspect environnemental (green). Des cerveaux de ses architectes et ingénieurs est née l’idée de former des villes, voire des pays, par agglomération d’îlots flottants, représentant chacun une « cellule » urbaine.

Des modules pouvant accueillir un million de personnes

Ces cellules pourraient accueillir entre 10 000 et 50 000 habitants. Assemblées, elles donneraient des « modules », agglomérés entre eux, formant une « unité » pouvant accueillir jusqu’à un million d’habitants. Ces structures ne produiraient aucun déchet et fonctionneraient entièrement avec des énergies renouvelables. Elles contribueraient même à la réduction du dioxyde de carbone (CO2).

Du nénuphar, elles empruntent la forme de la feuille, circulaire. Au centre de la cellule de trois kilomètres de diamètre se dresserait une immense tour d’un kilomètre de haut incluant dans ses niveaux intermédiaires une « usine végétale » devant assurer l’autosuffisance alimentaire des habitants. Son sommet, évasé, abriterait la ville – des habitations, des bureaux et des services. Sur sa côte seraient aménagées des stations de loisirs balnéaires. La zone allant de la tour à la mer serait couverte d’une forêt.

Sur la page « Dream » (rêve) consacrée aux nouvelles perspectives d’activités, Shimizu explique que le projet doit répondre problème du dérèglement climatique à l’origine, d’ici à la fin du siècle, « de la montée des niveaux des océans » et de « l’augmentation de la fréquence des inondations ». Il veut répondre aussi au problème de la concentration des populations des villes du monde, « dont certaines ont atteint les limites de leur développement par la construction de polders ».

« Entre 1,6 million et 2,5 millions d’euros » investis

Après plus de dix ans de recherche, pourtant, Green Float n’apparaît plus aussi spectaculaire que le laissaient espérer les illustrations fournies par les « rêveurs » de l’entreprise. Mais Shimizu se dit confiant dans la possibilité de finaliser une première unité, appelée Green Float II, d’ici à 2030 et une Mega Float d’ici à 2050. « Ces dernières années, nous avons investi entre 200 millions et 300 millions de yens [entre 1,6 million et 2,5 millions d’euros] dans ce projet, notamment pour les essais de technologies Float, la méthode de construction et les coûts », explique Masaki Takeuchi, architecte et responsable du projet.

Green Float II se traduirait par la construction d’une unité flottante de 200 mètres de diamètre et de 100 mètres de haut. Economiquement, c’est raisonnable, estime le groupe. « Dans une zone où la profondeur de l’océan est de 20 mètres, le coût est relativement similaire à celui d’un polder », note M. Takeuchi. D’après l’architecte, la meilleure localisation devrait être « à une latitude basse, près de l’équateur. Les risques tels que les vagues élevées et les vents forts seraient réduits et le “potentiel vert” maximisé ».

Certains pays sont déjà intéressés, notamment les nations insulaires du Pacifique, menacées de disparition par la montée des eaux et « traversées par un sentiment d’urgence qui les oblige à réfléchir, notamment à la possibilité d’immigrer ». Un projet serait en préparation avec les Kiribati, archipel du cœur du Pacifique comptant 110 000 habitants.

Les autres « rêves » de Shimizu

Il s’agirait de la première concrétisation des « rêves » de Shimizu, qui en compte d’autres, dont un également à vocation maritime : Ocean Spiral vise à construire un vaste ensemble sous-marin. Il s’articule autour du lien, par une spirale géante, entre une vaste sphère urbaine plongée en mer, dont seul l’arrondi supérieur émergerait, et une Earth factory construite au fond de la mer, assurant le stockage du dioxyde de carbone CO2 et sa réutilisation et exploitant les ressources des fonds marins. La spirale produirait l’électricité en tirant son énergie des différentiels thermiques de l’océan, de l’eau potable par dessalement ou encore les végétaux pour l’alimentation.

Pour concrétiser ce projet dessiné avec l’agence gouvernementale des sciences et technologies océanographiques (Jamstec) et les géants industriels Showa Denko, spécialiste des résines, et Nippura, fabriquant d’éléments en acrylique, le groupe attend le développement de l’industrie du fond des océans. « Pour l’instant, elle n’en est qu’aux expérimentations », regrette M. Takeuchi qui souligne par ailleurs les défis économiques d’Ocean Spiral.

Il en va de même pour les autres « rêves » de Shimizu, qui s’intéresse également à l’espace avec les idées d’un hôtel en orbite terrestre, ou de l’installation d’une ceinture de panneaux solaires à l’équateur de la Lune pour capter une énergie à envoyer sur Terre par transmission au laser ou par micro-ondes.

Le futur des villes et les imaginaires qui lui sont associés seront débattus lors de la conférence « Liberté, égalité, pérennité : la ville-monde face aux défis du siècle » organisée par Le Monde Cities, vendredi 28 juin, de 9 heures à 12 h 30, à Ground Control (Paris 12e). Au cours de cet événement seront remis les prix de l’Innovation urbaine Le Monde Cities. L’entrée est libre, sur inscription en cliquant ici.

Programme de la conférence

9 heures

Ouverture de la conférence.

9 h 10

Introduction par Carlo Ratti, architecte et ingénieur, directeur du Senseable City Lab, au MIT, fondateur de l’agence Carlo Ratti Associati.

9 h 25

Table ronde : « La ville connectée est-elle compatible avec la protection des libertés individuelles ? », avec Carlo Ratti, du MIT, Ross Douglas, directeur général d’Autonomy Paris, Christian Buchel, directeur clients et territoires d’Enedis, et Nathalie Chiche, fondatrice et présidente de Data Expert et personnalité qualifiée du Comité T3P.

9 h 45

Remise du prix Mobilité.

9 h 55

Echappée autour du diaporama-Twitter « Un jour, une ZUP » avec Renaud Epstein, maître de conférences en science politique

10 h 05

« Les villes-mondes au défi des inégalités », par Dominique Alba, directrice générale de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR)

10 h 15

Table ronde : « Comment réduire les ségrégations sociospatiales ? », avec Dominique Alba de l’APUR, Sonia Lavadinho de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et de BFluid, et Robin Rivaton, auteur de La ville pour tous (Editions de l’Observatoire, avril 2019).

10 h 35

Remises des prix Participation citoyenne et Urbanisme, avec Martial Desruelles, directeur général de Linkcity.

10 h 45

Pause.

11 h 15

Echappée, avec Léa Massaré di Duca et le projet Wide Open, tour du monde des écosystèmes d’innovation positive.

11 h 30

« Les villes-mondes face à l’urgence climatique », avec Cécile Maisonneuve, présidente de La Fabrique de la cité.

11 h 40

Table ronde : « Comment bâtir ou rebâtir des villes résilientes ? », avec Cécile Maisonneuve, présidente de La Fabrique de la cité, Nicolas Gilsoul, architecte et paysagiste, grand prix de Rome, et Carlos Moreno, directeur scientifique de la chaire entrepreneuriat, territoires et innovation à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne.

12 heures

Remise des prix Energie et Habitat, avec Jean Hornain, directeur général de Citeo.

12 h 20

Conclusion par Kjetil Thorsen, architecte et codirecteur de l’agence Snohetta.

Cette conférence est conçue et organisée par Le Monde, avec le soutien du groupe La Poste, d’Enedis, de Saint-Gobain, de Citeo et de Linkcity.

Accès libre : sur inscription, toutes les informations.