Manifestation à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, le 9 mars. / LUCAS BARIOULET / AFP

C’est une nouvelle première sur le plan institutionnel. Dans la nuit de mercredi 12 à jeudi 13 juin, le ministère de l’intérieur a ouvert la plate-forme en ligne qui servira à collecter les soutiens au premier processus de référendum d’initiative partagée (RIP) de l’histoire. Quelque 4,7 millions de signatures seront nécessaires pour que ce projet inédit, lancé par des parlementaires de droite et de gauche, voie le jour. L’objet de l’éventuel référendum : une proposition de loi affirmant le caractère de « service public national » des aérodromes de Paris afin d’en prévenir la privatisation. S’il aboutit, le processus fera échec à ce projet que l’exécutif avait pourtant réussi à faire adopter en avril dans le cadre de la loi Pacte. Mais, avant d’en arriver là, l’initiative devra franchir plusieurs étapes, à commencer par la collecte des signatures, qui va s’étaler sur neuf mois.

Jeudi matin, les électeurs ont découvert la plateforme. « Nous avons des indications d’une activité intense » sur celle-ci, a souligné Jean Maïa, secrétaire général du Conseil constitutionnel, lors d’une conférence de presse, sans donner de premiers chiffres. De nombreux internautes ont par ailleurs signalé des bugs. Certains ne pouvaient pas accéder au site, un bug lié à un « problème de paramétrage » de l’un des serveurs hébergeant le site, a déclaré Alain Espinasse, secrétaire général adjoint du ministère de l’intérieur. Ce problème a été résolu à « neuf heures », jeudi matin, a-t-il précisé. D’autres difficultés rencontrées par les internautes sont liées aux conditions de recueil des signatures. Explications.

  • Comment s’organise la collecte des signatures ?

Pour être déclenché, un RIP doit recueillir le soutien d’au moins un cinquième des parlementaires, un seuil atteint début avril, et de 10 % du corps électoral, soit 4 717 396 personnes. Les signatures des électeurs doivent être déposées en ligne sur le site Referendum.interieur.gouv.fr. Chaque citoyen qui souhaite apporter son soutien doit décliner son état civil (nom, prénoms, date, ville et pays de naissance), son numéro de carte d’identité ou de passeport et son adresse e-mail ou postale. Après confirmation de soutien au référendum, chaque personne pourra télécharger un récépissé de l’enregistrement de sa signature. Précision importante : il faut mentionner l’ensemble de ces informations telles qu’elles sont inscrites sur sa carte d’électeur (il faut rentrer l’ensemble de ses prénoms par exemple).

Une condition sine qua non est en effet d’être inscrit sur les listes électorales. Cette vérification sera automatique sur le site Internet. Une personne qui n’est pas inscrite sur une liste électorale ne pourra pas enregistrer sa signature. Si un message d’erreur s’affiche et que la personne sait qu’elle est inscrite sur les listes électorales, elle doit vérifier que les informations qu’elle a transmises correspondent bien à celles qui figurent sur sa carte d’électeur et recommencer l’opération. Un tutoriel vidéo doit être mis en ligne très rapidement pour expliquer la démarche à suivre et le ministère de l’intérieur envisage de préciser le formulaire pour mieux aiguiller les électeurs.

Pour les personnes n’ayant pas accès à Internet ou souhaitant se faire accompagner, le dépôt des signatures pourra se faire dans certaines mairies. Dans chaque canton, la commune la plus peuplée a été mandatée pour les enregistrer. Cela représente environ 20 villes par département. « Si d’autres communes souhaitent pouvoir recueillir les signatures, elles pourront en faire la demande à la préfecture », indique Alain Espinasse, secrétaire général adjoint du ministère de l’intérieur. Une carte interactive sera mise en ligne « très prochainement » sur le site du Conseil constitutionnel afin de localiser les espaces recueillant les signatures, indique M. Espinasse.

Toute personne devra alors y déposer un formulaire Cerfa – téléchargeable en ligne ou disponible en mairie – déclinant son identité et le nom de la proposition de loi soutenue. Un agent municipal se chargera alors d’en reporter les informations sur le site de la collecte en ligne.

  • Comment l’Etat s’assure-t-il de l’authenticité des soutiens ?

Le recueil des signatures est organisé par le ministère de l’intérieur et contrôlé par le Conseil constitutionnel. Après son enregistrement, un soutien doit être validé par le ministère de l’intérieur dans un délai de cinq jours. Le bureau des élections à Beauvau se chargera de s’assurer de son authenticité à partir des éléments d’identité transmis. Toute tentative de faire signer une personne à son insu constitue une usurpation d’identité passible de deux ans d’emprisonnement, de 30 000 euros d’amende et d’une peine complémentaire de privation de droits civiques. Le Conseil constitutionnel est le garant du contrôle de la régularité des opérations de recueil des soutiens. Il examine les réclamations et les recours déposés dans ce cadre par des électeurs.

  • Peut-on revenir sur sa signature avant la fin de la collecte ?

Non. L’article 5 de la loi organique de 2013, qui fixe les modalités d’organisation du RIP, précise bien qu’un soutien « ne peut être retiré ».

  • L’identité des signataires est-elle publique ?

Oui. « Le Parlement, à l’époque de son adoption, y a vu une garantie de la fiabilité de la procédure », rappelle Jean Maïa, secrétaire général du Conseil constitutionnel. Sur le site Internet, tout le monde pourra taper des noms de personnes dans un petit moteur de recherche pour vérifier si elles y figurent. « Il ne sera toutefois pas possible de télécharger la liste complète » des soutiens, précise Alain Espinasse.

  • Que deviendront les données collectées à cette occasion ?

Cela pourrait constituer un motif d’inquiétude pour les signataires puisque l’initiative créera un fichier de soutiens à une initiative politique. La loi organique de 2013 prévoit que, dans un délai de deux mois après la clôture du recueil des soutiens par le Conseil constitutionnel, le fichier devra être détruit. Les copies en sont interdites.

  • Quand s’achèvera la collecte des signatures ?

Même si les 4,7 millions de signatures sont atteintes avant la fin du délai de neuf mois, la collecte se poursuivra. Elle se terminera officiellement le 12 mars 2020 à minuit. Le Conseil constitutionnel aura alors un mois pour déterminer si le seuil de 10 % du corps électoral a été franchi. D’ici là, il a l’intention de communiquer régulièrement sur le nombre de signatures collectées. Il pourrait le faire pour la première fois « dès le début du mois de juillet », indique M. Maïa, « et probablement à une régularité mensuelle ».

  • Si le seuil des 4,7 millions est atteint, un référendum sera-t-il organisé ?

Pas nécessairement. Si le nombre de signataires a bien été atteint, l’Assemblée et le Sénat auront six mois pour décider d’examiner ou non la proposition de loi qui fait l’objet de ce référendum d’initiative partagée. Si les deux Chambres se prononcent sur le texte, qu’elles soient pour ou contre, alors il n’y aura pas de RIP. L’idée sous-jacente est de ne pas créer une rivalité entre les décisions du Parlement et la souveraineté populaire qui s’exprimerait à travers un référendum. Dans le cas où au moins l’une des Chambres n’examine pas ce texte à l’issue de ce délai de six mois, alors le président de la République sera tenu d’organiser un référendum sur la proposition de loi. Celui-ci n’interviendra donc pas avant le mois d’octobre 2020.