Conférence de presse du Conseil militaire de transition à Khartoum, le 13 juin 2019. / YASUYOSHI CHIBA/AFP

Le Conseil militaire de transition (TMC) au pouvoir au Soudan a reconnu pour la première fois, jeudi 13 juin, avoir ordonné la dispersion d’un sit-in de manifestants début juin devant le QG de l’armée à Khartoum, qui a fait des dizaines de morts.

Ce groupe de généraux a pris les rênes du pays après la destitution et l’arrestation, le 11 avril, sous la pression d’un mouvement de contestation inédit, du président Omar Al-Bachir, qui a été inculpé jeudi pour « corruption ».

Face aux craintes d’une escalade, des émissaires américains et africains se trouvent à Khartoum pour tenter de trouver une solution à la crise entre les militaires et le mouvement de contestation, surtout après la dispersion brutale le 3 juin du sit-in des manifestants qui était en place depuis près d’un mois devant le siège de l’armée.

« Nous regrettons »

Selon un comité de médecins proches de la contestation, quelque 120 personnes ont été tuées dans la répression des manifestants depuis le 3 juin, la plupart dans la dispersion du sit-in. Les autorités, elles, avancent le chiffre de 61 morts. Les chefs de la contestation et des ONG ont accusé les troupes des redoutées Forces de soutien rapide (RSF) d’avoir réprimé dans le sang le sit-in.

Jeudi, pour la première fois, le Conseil militaire a admis avoir ordonné la dispersion du sit-in. « Le Conseil militaire a décidé de disperser le sit-in et un plan a été établi en ce sens (…) Mais nous regrettons que des erreurs se soient produites », a déclaré à des journalistes le général Chamseddine Kabbachi, porte-parole de cette instance. Il a ajouté que les résultats de l’enquête sur cette dispersion seraient publiés samedi, précisant que le TMC ne permettrait plus de tels sit-in près des sites des forces armées.

Malgré la répression et pour maintenir la pression, une campagne de désobéissance civile a quasiment paralysé la capitale Khartoum de dimanche à mardi à l’appel des chefs de la contestation qui réclament le transfert du pouvoir aux civils.

C’est grâce à une médiation du premier ministre éthiopien Abiy Ahmed que les chefs de la contestation ont cessé la campagne de désobéissance civile et accepté le principe d’une reprise des pourparlers avec le Conseil militaire de transition.

Les Etats-Unis et l’Union africaine (UA), appelant à un transfert du pouvoir aux civils, ont dépêché des émissaires à Khartoum qui se sont entretenus avec des responsables soudanais et des meneurs de la contestation.

Le nouvel émissaire spécial américain, Donald Booth, et le secrétaire d’Etat américain adjoint chargé de l’Afrique, Tibor Nagy, ont aussi rencontré le chef du Conseil militaire, Abdel Fattah Al-Burhane, qui s’est félicité des efforts américains en vue d’une solution politique, selon un communiqué de son bureau.

Les émissaires américains doivent aussi se rendre à Addis-Abeba pour s’entretenir avec des responsables éthiopiens et de l’UA, qui a suspendu le Soudan après la répression.

L’émissaire de l’UA, Mohamed Al-Hacen Lebatt, a assuré qu’une équipe de diplomates étrangers travaillait à résoudre la crise : « Je peux dire sans optimisme excessif que les discussions que nous avons eues avec chaque partie séparément progressent. »

Nécessaire retrait des milices

L’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), le fer de lance de la contestation déclenchée en décembre 2018, a indiqué que ses leaders avaient informé les responsables américains de la nécessité d’une enquête transparente sur la dispersion du sit-in, de la nécessité du retrait des « milices » des rues et d’une autorité civile. Jeudi, moins de membres des RSF étaient présents dans les rues de la capitale, où des embouteillages se sont de nouveau formés, a constaté un correspondant de l’AFP.

Quelques magasins du marché de l’or ont rouvert et davantage d’habitants et d’employés étaient visibles. Néanmoins, plusieurs secteurs ont subi des coupures d’électricité, et l’accès à Internet demeure difficile.

« Aujourd’hui, c’est mon premier jour de travail depuis l’arrêt de la campagne mais je ne suis pas d’humeur à aller travailler », a déclaré Souheir Hassan, un fonctionnaire. « Je suis passé par la zone du sit-in et je me suis rappelé que toutes ces voix qui scandaient des slogans révolutionnaires ont à présent disparu. »

La crise économique au Soudan a été à l’origine des premières manifestations contre le régime de Bachir, destitué après trois décennies au pouvoir.

Les pourparlers entre Conseil militaire de transition et meneurs de la contestation ont été suspendus le 20 mai, chaque camp voulant diriger la future instance censée mener la transition. Les meneurs de la contestation insistent désormais pour que tout accord s’accompagne « de garanties régionales et internationales pour sa mise en application ».