La manifestation du 9 juin, à Hongkong. / Kin Cheung / AP

Editorial du « Monde ». En manifestant le 9 juin lors d’une marche qui a réuni près de un million de personnes, soit un habitant sur sept, puis en bloquant les abords du Parlement local pendant deux jours, les Hongkongais ont montré combien ils se défiaient de leur gouvernement et de la Chine continentale.

Le motif de la colère est une loi d’extradition vers la Chine, pays auquel Hongkong appartient formellement depuis la rétrocession de 1997 en tant que « région administrative spéciale », mais dans le cadre constitutionnel d’« un pays, deux systèmes ». Ce dispositif a été imaginé par la Chine de Deng Xiaoping pour respecter sa part de l’accord signé avec les Britanniques et garantir, jusqu’en 2047, un haut degré d’autonomie à Hongkong dans la gestion de ses affaires internes.

Or, la loi d’extradition exposerait les Hongkongais aux perversions d’une justice chinoise sous contrôle du pouvoir communiste, qui n’hésite pas à emprisonner sur commande avocats, journalistes, blogueurs, mais aussi hommes d’affaires et officiels. Pour ajouter l’insulte à l’injure, le gouvernement de Hongkong et sa responsable de l’exécutif, nommés par Pékin, prévoyaient de faire passer le plus rapidement possible la loi au Parlement qu’ils contrôlent.

Les règles du jeu ont changé

Face à la mobilisation de la rue, l’adoption de la loi a été repoussée sine die et une nouvelle manifestation est prévue dimanche 16 juin, ainsi qu’une grève générale le lendemain. A quelques jours de l’anniversaire de la rétrocession du 1er juillet 1997, et un peu moins de cinq ans après les soixante-dix-neuf jours de paralysie de Hongkong lors du « mouvement des parapluies », c’est une nouvelle crise majeure qui s’ouvre.

Les graines en avaient été semées à l’automne 2014 : c’est pour obtenir d’élire au suffrage universel ceux qui les gouvernent, au lieu de voir Pékin décider pour eux, que les Hongkongais étaient alors descendus massivement dans la rue. Si ce mouvement n’avait pas fait flancher Pékin sur le suffrage universel, il avait fait émerger une nouvelle génération politique dite « localiste », qui s’est lancée avec enthousiasme dans le débat public, espérant faire évoluer de manière légaliste la démocratie tronquée qui était la leur.

Mais les règles ont changé en cours de jeu : par une série de coups de force juridiques dérogeant à l’autonomie du territoire, le pouvoir chinois et un gouvernement local à ses ordres ont fait destituer de leurs sièges les jeunes élus, puis juger et emprisonner les leaders de la désobéissance civile. Cette reprise en main a profondément traumatisé la société hongkongaise. Si elle a continué à manifester son indignation, personne n’espérait plus la voir se dresser avec une telle énergie face à l’offensive chinoise.

Cette fois, les Hongkongais ont besoin d’alliés. La Chine a beau jeu de crier à l’ingérence étrangère : c’est elle qui érode le haut degré d’autonomie qu’elle a promis à ce territoire devant la communauté internationale. L’Allemagne a fait en 2018 le geste inédit d’accepter la demande d’asile de deux jeunes militants de Hongkong poursuivis lors de manifestations, montrant bien qu’elle jugeait biaisée leur inculpation. La loi d’extradition passée, il ne serait pas impensable qu’ils soient jugés en Chine.

Les Etats-Unis ont signalé qu’ils pourraient cesser d’accorder des préférences économiques à Hongkong si la loi passait en l’état. Le Royaume-Uni a exprimé ses préoccupations sur les « effets potentiels » de celle-ci. Les Hongkongais savent qu’ils seront très vulnérables face à la Chine une fois adoptée cette législation et que l’avenir de leur cité est en jeu.