Une étude de pharmaco-épidémiologie sur les conséquences du passage à la nouvelle formule du Levothyrox en France, rendue publique jeudi 13 juin par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), ne fournit « pas d’argument en faveur d’une toxicité propre » de cette nouvelle formule du médicament destiné à lutter contre des insuffisances thyroïdiennes, mais met en lumière une augmentation du nombre de consultations médicales.

L’étude, réalisée par le groupement d’intérêt scientifique Epi-Phare, constitué fin 2018 par l’ANSM et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), n’a pas mis en évidence « d’augmentation de survenue de problèmes de santé graves », tels que des décès, des hospitalisations, des arrêts de travail d’au moins sept jours, ni de prises de médicaments utilisés pour traiter des symptômes notifiés en pharmacovigilance. En revanche, elle montre « une nette augmentation des recours aux soins ambulatoires (…) et une hausse relative de l’utilisation de certains médicaments comme les benzodiazépines », utilisés en cas de troubles du sommeil ou d’angoisses.

Cette étude fait suite aux polémiques engendrées par le changement de formule du Levothyrox commercialisé par Merck, fin mars 2017, qui avait été suivi de nombreux signalements d’effets indésirables. Les autorités sanitaires avaient été contraintes de diversifier les traitements disponibles et de rétablir l’accès à l’ancienne formule du médicament, auparavant prescrite à environ 3 millions de patients.

« On n’observe pas plus d’hospitalisations »

L’étude Epi-Phare a été réalisée à partir des données du système national des données de santé (SNDS) qui comprend les données nationales exhaustives de remboursement de soins de ville (DCIR) et d’hospitalisation (PMSI) de l’ensemble des individus couverts par l’Assurance-maladie. Deux groupes ont été constitués : 1 037 553 sujets ayant pris le Levothyrox ancienne formule (AF) en 2016 et autant à qui la nouvelle formule (NF) avait été prescrite en 2017. Les deux groupes ont été suivis pendant 7,5 mois en moyenne.

Il ressort de leur comparaison qu’il n’y a pas eu « d’augmentation de survenue d’hospitalisations ou de décès parmi les patients traités par Levothyrox NF en 2017 comparé aux patients traités par Levothyrox AF en 2016 ». Autre fait notable, à la fin de l’année 2017, 18 % des patients qui avaient commencé à prendre le Levothyrox NF entre avril et juin étaient passés à d’autres spécialités à base de lévothyroxine, disponibles à partir d’octobre. Parmi eux, les différences par rapport aux patients traités par Levothyrox AF en 2016 « apparaissent un peu plus marquées en termes d’arrêts de travail, de recours aux soins ambulatoires et de consommations médicamenteuses, mais on n’observe pas plus d’hospitalisations », note le rapport.

Dans l’échantillon analysé, parmi les patients traités par le Levothyrox le nombre de consultations médicales, toutes spécialités confondues, a augmenté de 2 % entre 2016 et 2017 (de 6,1 à 6,2 consultations en moyenne sur l’ensemble du suivi). « L’extrapolation à l’ensemble de la population traitée en France conduit à estimer qu’en 2017, de l’ordre de 360 000 consultations médicales supplémentaires auraient été effectuées suite au passage à la nouvelle formule du Levothyrox », souligne le rapport, qui relève que cet accroissement s’est concentré sur la période d’août à octobre 2017. Les auteurs estiment également qu’il y a eu « une augmentation relative de la consommation de benzodiazépines en lien avec le passage à la nouvelle formule du Levothyrox » entre 2016 et 2017.

Ils préviennent que leur analyse comporte quelques limites. Certains événements de santé ne sont pas reportés dans les bases de données. C’est le cas de symptômes qui n’auraient pas donnée lieu à un traitement ou à une hospitalisation, de type asthénie (fatigue) ou ralentissement général ou encore perte de cheveux. Le cas des 20 % des patients qui sont passés à d’autres formulations ou ont arrêté les traitements de la lévothyroxine délivrée en France doit être interprété « avec prudence », note le rapport.

L’ensemble des résultats conduisent cependant les experts à exonérer la nouvelle formule du médicament d’une « toxicité propre » : « Ils reflètent plutôt les difficultés rencontrées par certains patients lors du changement de formule, comme cela a été rapporté à travers les notifications au dispositif de pharmacovigilance ou dans l’expression publique des patients portant notamment sur le manque d’information sur le changement de formulation. »

Le précédent néo-zélandais

Le rapport dresse un parallèle avec un changement de formulation d’un médicament du même type en Nouvelle-Zélande en 2008, dont les patients n’avaient pas été informés. Les conséquences, dans un contexte où les effets indésirables signalés avaient été fortement médiatisés, avaient été « particulièrement problématiques ». Le rapport rappelle aussi que le Levothyrox est un médicament à marge thérapeutique étroite, c’est-à-dire qu’un faible changement de dosage peut suffire à engendrer des effets indésirables. « L’effet de ces différents facteurs conjugués a pu conduire à attribuer au changement de formulation des symptômes sans lien avec le traitement et/ou à attribuer à une toxicité de la nouvelle formule des symptômes de déséquilibre thyroïdien dus à la marge thérapeutique étroite du médicament », écrivent les experts au sujet du cas néo-zélandais.

C’est un scénario similaire qui est parfois invoqué pour expliquer la « crise du Levothyrox » en France, certains commentateurs évoquant de surcroît un « effet nocebo », c’est-à-dire la survenue ou l’aggravation d’effets secondaires par une forme de contagion psychologique. Cet effet nocebo n’est pas mentionné dans le rapport.

Quelle réaction des associations de malades ?

Ses conclusions risquent d’être diversement appréciées par les associations de malades, qui estiment que les autorités sanitaires n’ont pas pris la mesure de la crise que certains ont traversée lors du changement de formule. En mars, le tribunal d’instance de Lyon avait débouté quelque 4 113 plaignants qui poursuivaient les laboratoires Merck, fabriquant du médicament, pour les troubles causés.

Début avril, des travaux franco-britanniques, publiés dans la revue Clinical Pharmacokinetics, avaient conclu que les deux formulations du médicament n’étaient pas substituables pour chaque individu : près de 60 % des patients pourraient ne pas réagir de la même manière aux deux versions du médicament, selon une nouvelle analyse des données fournies par le laboratoire lui-même à l’Agence nationale de sécurité du médicament – une conclusion que celle-ci n’avait pas commentée.