Nouvel épisode dans la montée des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran dans le golfe Persique. Après l’attaque de deux tankers en mer d’Oman, jeudi 13 juin, Washington a accusé Téhéran d’être à l’origine de ces sabotages. « Les Etats-Unis considèrent que la République islamique d’Iran est responsable des attaques », a déclaré jeudi Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat américain. Des accusations réitérées vendredi par Donald Trump, pour qui ces incidents sont « signés par l’Iran ».

L’armée américaine a publié une vidéo qui montre, selon elle, une patrouille des Gardiens de la révolution islamique (GRI), le corps d’élite de l’armée iranienne, retirant une mine-ventouse qui n’avait pas explosé sur une paroi de l’un des deux pétroliers. L’Iran a de son côté rejeté catégoriquement l’« accusation infondée » de Washington, le président Hassan Rohani estimant que les Etats-Unis constituaient une « grave menace à la stabilité » régionale et mondiale.

Il y a un mois, quatre navires avaient déjà été endommagés par des actes de sabotage en mer d’Oman. Clément Therme, chercheur pour le programme Moyen-Orient de l’International Institute for Strategic Studies (IISS), à Londres, décrit une « guerre de propagande » visant à « faire porter la responsabilité de l’escalade sur l’autre partie ».

INFOGRAPHIE « LE MONDE »

En quoi cette région du golfe Persique est-elle stratégique ?

C’est une zone de production importante de pétrole et de gaz, avec à proximité des pays comme l’Arabie saoudite, deuxième producteur mondial de pétrole, et le Qatar, premier producteur de gaz naturel liquéfié (GNL). C’est aussi une zone de transit importante, avec 35 % du pétrole mondial qui passe dans le détroit d’Ormuz, ainsi que 20 % du commerce global de GNL.

La région est d’autant plus sensible qu’il y a déjà eu une guerre des tankers entre les Etats-Unis et l’Iran, entre 1984 et 1987, au cours de laquelle plusieurs centaines de bateaux avaient été attaqués. Entre la marine américaine, qui s’est donné pour mission de garantir la libre circulation des navires dans cette zone, et l’Iran, qui est la principale puissance de cette région, les tensions sont régulières.

Il y a également un problème de délimitation des zones territoriales et des eaux internationales, notamment entre les Emirats arabes unis et l’Iran. Sur les cartes iraniennes, certaines zones maritimes sont iraniennes alors que sur les cartes des Emirats, elles leur appartiennent. On a donc là des problèmes juridiques, politiques et militaires.

Les accusations des Etats-Unis contre l’Iran sont-elles crédibles ?

Les Etats-Unis ont un passé de falsification des preuves, notamment sous l’ère John Bolton [qui est aujourd’hui conseiller à la sécurité nationale de M. Trump] durant la présidence de George W. Bush. La crédibilité des Etats-Unis est très faible. On est là en pleine guerre de propagande et de l’information entre les médias occidentaux et les médias iraniens. Chacun désigne l’autre comme étant le principal responsable de l’escalade en cours. Il faut donc rester extrêmement prudent sur ces accusations. En 2003, le New York Times avait par exemple validé les preuves américaines contre le régime de Saddam Hussein en Irak.

« Le rapport de forces est inégal entre une superpuissance internationale et une puissance régionale. »

Aujourd’hui, l’Iran insiste sur les sanctions et l’embargo pétrolier américain, qui sont perçus comme un acte de guerre. C’est selon Téhéran le principal facteur de l’escalade actuelle. De son côté, l’administration américaine insiste sur la réponse du régime iranien aux sanctions, qui ne permet pas une négociation directe au plus haut niveau de l’Etat. On est donc face à deux discours idéologiques simplificateurs qui cherchent à justifier l’escalade par des causes uniques, alors qu’une pluralité de facteurs est en jeu. Chaque camp retourne contre son adversaire ses propres arguments. Mais le rapport de forces est inégal entre une superpuissance internationale et une puissance régionale.

Cette « pression maximum » sur Téhéran, dont se vante Donald Trump, vise-t-elle à pousser les Iraniens à renégocier l’accord sur le nucléaire ? Ou Washington veut-il renverser le régime ?

L’administration américaine affirme des choses contradictoires. D’un côté, elle souligne le caractère monolithique du régime iranien, avec lequel il ne serait pas possible de négocier. Or avec Bolton et Pompéo, il y a une croyance idéologique, au sein l’administration Trump, selon laquelle l’action militaire est la seule option pour régler des différends politiques. Les actes sont donc en contradiction avec la parole publique. La politique menée par cette administration vise un changement de régime, mais cet objectif n’est pas énoncé clairement.

Autre contradiction : les Etats-Unis souhaitent renverser le régime pour « libérer » le peuple iranien d’un pouvoir autoritaire, mais quand ils imposent des sanctions économiques massives et un embargo pétrolier, c’est le peuple iranien qui souffre de la crise économique. Le président Trump est d’ailleurs encore plus impopulaire que le pouvoir théocratique en Iran, ce qui est aussi une difficulté pour le « soft power » de Washington.

Les Iraniens, eux, préfèrent la paix à la guerre, même si le statu quo économique est difficilement soutenable. Ils n’ont pas d’intérêt à cette escalade. Mais le régime est aujourd’hui dans une situation compliquée : comment répondre à l’administration américaine sans menacer sa survie ? Il doit composer entre le mécontentement populaire en raison de la crise économique et le risque d’escalade militaire avec Washington, qui est une conséquence de la confrontation économique entre les deux pays.

Pour l’instant, Téhéran est sur une position plutôt défensive et dans une stratégie de contournement. Le régime est dans une « résistance maximale » face à la « pression maximum » imposée par Trump.