Affiche de l’édition 2019 du French Quarter Festival, New Orleans (Irma Thomas) / French Quarter Festival

Quand j’ai fait part à mes amis originaires de la Nouvelle-Orléans de mon envie d’assister au célèbre Jazz & Heritage Festival qui fêtait cette année son cinquantenaire, je me suis entendu répondre : « Le Jazz Fest c’est super. Mais si tu veux vraiment découvrir la scène locale, c’est au French Quarter Festival que tu dois aller. Un festival pour les habitants, avec les musiciens du coin. Et en plus c’est gratuit ! »

Tant pis pour l’auguste festival dont je vous livrerai un jour un compte rendu fin et intelligent, et laissons le bon temps rouler !

If you go to New Orleans

Comment ne pas tomber amoureux de la Nouvelle-Orléans ? Malgré ses conditions extrêmes, un taux de criminalité inégalé, son climat tropical, la menace permanente du Mississippi (La ville est située sous le niveau de la mer), Crescent City est un véritable décor de cinéma avec son mythique Quartier Français, ses live oaks monumentaux, ses avenues sans fin bordées de splendides maisons coloniales parcourues par des streetcars séculaires.

Bien que Mardi Gras soit une destination de springbreak courue pour les adultes de tout le pays, Nola est tout sauf états-unienne. S’ils ne parlent plus la même langue depuis des lustres, les Louisianais partagent avec les Français leur goût pour l’art de vivre, un art de vivre basé sur la musique, la culture et la gastronomie.

La musique comme lien

Soul Brass Band, 14 avril 2019, French Quarter Fest, New Orleans / Yannick Le Maintec

Comme son nom l’indique, le French Quarter Festival a pour théâtre le Quartier Français, délimité par le Mississippi, Bourbon Street (à fuir !) et la fameuse Frenchmen Street, refuge de toutes les nuits, du Blue Nile au d.b.a, du Spotted Cat au Snug Harbour. Le festival se déroule chaque année au début du mois d’avril, bénéficiant ainsi de conditions climatiques idéales, l’équivalent d’un mois de juin dans l’hexagone.

23 scènes, 250 concerts, 1 700 musiciens, 825 000 visiteurs, les chiffres donnent le tournis. Malgré sa taille impressionnante, la manifestation est avant tout familiale. De 11 heures à 19 heures du jeudi au dimanche, les pelouses qui bordent le Mississippi sont prises d’assaut par les poussettes et la jeunesse des quartiers populaires. Tout le monde se côtoie dans un esprit bon enfant, la musique comme lien.

Ne soyez pas étonnés si vous vous retrouvez à discuter de votre po’boy aux crawfishes ou au cochon de lait avec vos voisins de tables, les Néo-Orléanais adorent les échanges, de véritables Méditerranéens !

Un festival où la scène locale est reine

John Boutté, 11 avril 2019, French Quarter Fest, New Orleans / Yannick Le Maintec

La programmation du French Quarter festival balaie toutes les palettes musicales qui ont fait la réputation de la cité : jazz, blues, rhythm and blues, brass band, dixieland, zydeco, funk, gospel, cajun. Si c’est votre première fois, impossible d’éviter les clichés.

Au premier rang des figures locales, on retrouve l’inénarrable trompettiste Kermit Ruffins (une visite au Mother In Law s’imposera) et le charismatique chanteur de soul John Boutté (qu’on retournera voir au d.b.a). On se prendra une claque avec le funk des Galactic et leur fabuleuse chanteuse Erica Falls. On s’enflammera pour les Cha Wa, héritiers de la tradition des Mardi Gras Indians. Parmi les incontournables la reine de la soul de New Orleans, Irma Thomas, 78 ans, et le mythique Big Chief Monk Boudreaux, d’un an son cadet. Les brass bands ont leur scène dédiée. Des plus traditionnels, comme le Storyville Brass Band, au plus hip-hop, Hot 8, en passant par les plus soul, les Soul Rebels, à chacun son style.

George Porter Jr, James Andrews, Jon Cleary, Corey Henry, Don Vappie, Jeremy Davenport, Bonerama, Panorama, la liste n’en finit pas, de quoi poursuivre la nuit jusqu’à satiété. Si vous avez l’occasion de voir sur scène un représentant des prestigieuses familles Neville ou Marsalys, régalez-vous. Et ne soyez pas étonné quand vous croiserez Donald Harrisson ou Trombone Shorty au coin de la rue, this is New Orleans !

Une scène foisonnante, malgré Katrina

Cha Wa, 11 avril 2019, French Quarter Fest, New Orleans / Yannick Le Maintec

Alors bien sûr, The Big Easy a la réputation d’être un Disneyland du jazz. Loin d’être un musée, sa scène musicale possède une énergie folle. La Nouvelle-Orléans est, avec La Havane, la ville la plus musicale qu’il m’ait été donné de visiter. Malgré Katrina.

Quels furent les impacts du passage en 2006 du sinistre ouragan ? A l’instar des populations les plus pauvres, certains musiciens ont quitté la ville. Mais ils continuent à s’y produire plusieurs fois par semaine. Une des conséquences indirectes de Katrina fut la diffusion en 2010 de Treme, du nom du quartier pauvre qui abrite de nombreux musiciens. Le show de HBO, qui raconte la vie quotidienne après Katrina, a permis de faire découvrir la musique de la Nouvelle-Orléans à toute une nouvelle génération.

Au-delà d’avoir braqué les projecteurs sur la cité, s’il fallait trouver quelque conséquence positive au passage de Katrina, c’est dans la prise de conscience qu’il faut aller chercher. Une prise de conscience par la population de l’urgence à préserver son patrimoine culturel et musical.

Un héritage caribéen

A l’instar des villes des Caraïbes, l’ADN de la Nouvelle-Orléans est le fruit de l’histoire coloniale et du mélange des populations, dont les Créoles sont emblématiques. Comme le racontait Dr John, tout récemment disparu, dans son autobiographie Under a Hoodoo Moon, « à la Nouvelle-Orléans, dans la religion tout comme dans la nourriture, les origines ou la musique, vous ne pouvez rien séparer. Tout s’entremêle pour ne plus exister en tant que tel et ne rien devenir d’autre qu’un ingrédient d’un fabuleux gumbo. »

R.I.P. Dr John

Malcolm John Rebennack, plus connu sous le nom de Dr John, a définitivement quitté la scène le 6 juin 2019 (article du Monde daté 7 juin 2019). Le prolifique pianiste au personnage fantasque était une légende de La Nouvelle-Orléans. Le journaliste John Radanovich (Offbeat Magazine) nous partage son émotion.

« Fats Domino et Alan Toussant partis, Mac Rebennac était le dernier des grands pianistes de l’époque des légendaire sessions d’enregistrement de Cosimo Matassa [architecte du rhythm’n’blues dans les années 50-60], et même des vieux professeurs d’antan. Son style funk et barrelhouse, ainsi que sa personnalité et son langage idiosyncrasiques manqueront cruellement à tous ceux qui chérissent le sens du rythme et l’esprit de La Nouvelle-Orléans. »

A lire sur le web : L’hommage du magazine Soul Bag

A suivre : Cinq albums de la Nouvelle-Orléans