A Hongkong, le 15 juin. / HECTOR RETAMAL / AFP

L’annonce du retrait, au moins provisoire, du projet de loi controversé facilitant l’extradition en Chine, était attendue samedi après-midi à Hongkong. Carrie Lam, la chef de l’exécutif hongkongais, fer de lance du projet, semble plus isolée que jamais. « La ville entière retient son souffle, résumait samedi matin Jason Ng, du Groupe des avocats progressistes. Si Carrie Lam repousse indéfiniment l’examen du projet de loi, c’est une chose, mais si elle annonce un processus de consultation élargi et un report de l’examen à la rentrée, rien n’indique que les opposants s’en satisferont. »

Selon des informations du South China Morning Post, grand quotidien anglophone racheté par le milliardaire chinois Jack Ma en 2016, publiées dans la matinée de samedi, les officiels chinois responsables du suivi des affaires de Hongkong ont eu une réunion confidentielle à Shenzhen, juste de l’autre côté de la frontière chinoise, pour l’opportunité du passage en force de cette loi – quand bien même quasiment personne n’en avait jamais vu l’utilité, et que son impopularité menaçait la stabilité sociale, politique et même économique de la Région administrative spéciale.

Dans l’attente, les organisateurs d’une nouvelle marche populaire d’opposition au projet de loi, prévue dimanche après-midi, ont maintenu le rassemblement, selon le même format que la marche qui a réuni plus d’un million de personnes, dimanche 9 juin. Un appel à la grève générale avait par ailleurs été lancé pour lundi.

Selon d’autres sources, dont le journal prochinois Sing Tao, la chef de l’exécutif, Carrie Lam, en poste depuis à peine deux ans, enchaînait les réunions tant avec ses conseilleurs, les députés de la majorité pro-Pékin et les représentants chinois à Hongkong.

Le silence éloquent du camp pro-Pékin

Depuis quelques jours, le silence assourdissant du camp pro-Pékin, qui a clairement manqué de soutenir Carrie Lam dans la tourmente, et qui avait été le premier à émettre des réserves sur cette loi, ainsi que des rumeurs de dissensions au sein du Conseil exécutif, laissait penser que le vent était en train de tourner.

Vendredi, les langues ont commencé à se délier. Le député pro-Pékin James Tien fut le premier à se désolidariser publiquement de Carrie Lam, s’étonnant de son acharnement. « Je ne comprends pas pourquoi elle y tient tant que cela », déclara-t-il à la presse, soulignant les conséquences politiques qu’aurait forcément un tel affront à la population de Hongkong.

Car deux échéances électorales importantes approchent, avec en fin d’année des élections locales (de districts) et des élections législatives l’an prochain. « Comment Hongkong pourra-t-elle être gouvernée si nous perdons la majorité au Parlement ? », s’est-il inquiété. Malgré un mode de scrutin favorable au camp pro-Pékin, la majorité ne lui est pas garantie, en cas de victoire massive du camp prodémocratie.

Devant le siège du gouvernement, à Hongkong, le 15 juin. / HECTOR RETAMAL / AFP

Bernard Chan, membre du Conseil exécutif, aussi discret que respecté, largement identifié comme un futur candidat potentiel au poste de chef de l’exécutif, admettait pour sa part sur la radio publique RTHK que le gouvernement avait sous-estimé la réaction des milieux d’affaires et d’autres secteurs. « Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir le Parlement en rade à cause d’une loi », a-t-il déclaré.

Or, après avoir annulé les sessions de jeudi et de vendredi, le président du Conseil législatif, Andrew Leung, avait déjà annoncé qu’il ne se réunirait pas non plus ni lundi 17, ni mardi 18 juin. De fait, la perspective de voter la loi d’extradition, jeudi 20 juin, selon le calendrier établi à l’origine, semblait impossible à tenir. Déjà catastrophique socialement et politiquement, cette crise ressemblait de plus en plus à un désastre annoncé pour la majorité, et donc indirectement pour Pékin.

Violences policières

Dans une interview à la BBC, l’ambassadeur de Chine à Londres, Liu Xiaoming, a pour sa part insisté sur le fait que, contrairement à ce que les médias occidentaux répétaient, ce projet n’avait pas été dicté par Pékin, Carrie Lam en ayant à plusieurs reprises revendiqué l’initiative. Un autre signe de prise de distance de Pékin vis-à-vis de cette initiative, après l’avoir soutenue.

Après la réaction de Carrie Lam à la suite de la manifestation historique de dimanche 9 juin, qu’elle balaya d’un revers de main comme un non-événement, la gestion jugée violente des débordements de la manifestation, trois jours plus tard, a aggravé le malaise des Hongkongais. Après quelques incidents brutaux, la police a en effet riposté sur l’ensemble des manifestants, dans leur immense majorité des jeunes, de 15 à 25 ans, venus sans autre intention que d’exprimer paisiblement leur opposition à l’adoption de ce texte liberticide.

La police a indiqué avoir utilisé 150 cartouches de gaz lacrymogènes, en quelques heures et dans ce périmètre restreint, près du double de ce qui avait servi tout au long des 79 jours du « mouvement des parapluies » en 2014. Elle a aussi eu recours à une vingtaine de « bean bags » (sacs à pois), des gaz poivre, et des balles en caoutchouc. Les heurts ont fait environ 80 blessés du côté des manifestants et 22 policiers, une violence qui a choqué.

La maladresse de Carrie Lam

Alors que violence urbaine et délinquance sont quasiment inexistantes à Hongkong, des centaines de vidéos montrant quelques cas flagrants de violences policières ont eu un fort écho dans la société et ont contribué à faire redoubler la colère des Hongkongais à l’égard de Carrie Lam. Onze personnes ont été arrêtées et accusées de divers crimes de troubles de l’ordre mais aussi d’avoir participé à des « émeutes », un terme d’abord utilisé par Carrie Lam et passible de dix ans de prison dont l’utilisation a également été assimilée à de la provocation. Si elle est maintenue, la marche de dimanche aura donc pour double thème le rejet de la loi et la dénonciation de la violence policière.

C’est donc, selon toute vraisemblance, l’ampleur de la protestation populaire, qui a pris une proportion jamais vue à Hongkong depuis la rétrocession de 1997, qui a fait basculer même une partie du camp pro-Pékin du côté de l’opinion publique. La maladresse et la rigidité de Carrie Lam ont fait le reste.

S’il est confirmé, ce retournement spectaculaire et inespéré devrait donner un énorme espoir à la société civile de Hongkong et au camp prodémocratie, pour qui, l’épisode a d’ores et déjà été une aubaine et l’occasion d’une quasi-résurrection. Depuis cinq ans, l’opposition était divisée et surtout décimée par divers procès qui ont condamné à la prison ou exclu de la vie politique certains de ses membres les plus actifs.