Dans leur plainte, Alex Morgan, Megan Rapinoe (en photo) et leurs coéquipères rappellent qu’en 2014 leurs homologues masculins, huitièmes de finalistes au Mondial au Brésil, avaient reçu 4,7 millions d’euros de primes, tandis qu’en 2015, après leur troisième sacre mondial, elles ne s’étaient partagé que 1,5 million d’euros. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

L’équipe de Thaïlande a, semble-t-il, servi de victime expiatoire de toute la colère que la star Alex Morgan et ses coéquipères ont accumulée contre leur propre fédération. Lors de leur entrée en Coupe du monde, mardi 11 juin à Reims, les footballeuses américaines ont fait preuve d’un implacable sens de la vengeance en empilant les buts. Treize en quatre-vingt-dix minutes, un record. Dimanche 16 juin, les championnes du monde en titre joueront leur deuxième match face aux Chiliennes, ce qui promet, à coup sûr, une nouvelle démonstration de force tant l’écart de niveau est gigantesque.

Mais tout n’est pas rose au pays du soccer au féminin. Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, 28 joueuses américaines, dont les 23 présentes en France, ont lancé une action en justice, auprès d’un tribunal californien, contre United States Soccer Federation (USSF, la fédération américaine) au motif d’une « discrimination institutionnelle basée sur le genre ».

Dans leur plainte, elles rappellent, entre autres, qu’en 2014 leurs homologues masculins, huitièmes de finalistes au Mondial au Brésil, avaient reçu l’équivalent de 4,7 millions d’euros de primes, tandis qu’en 2015, après leur troisième sacre mondial, elles ne s’étaient partagé que 1,5 million d’euros.

Record d’audience

Les enjeux sont énormes puisqu’ils concernent des arriérés de salaire et des dommages et intérêts, pour une somme potentielle de plusieurs millions de dollars. Les footballeuses américaines semblent bien décidées à enfoncer le clou de leurs revendications en accrochant une quatrième étoile de championnes du monde à leur incroyable palmarès, quand les footballeurs américains n’ont, eux, jamais réédité leur demi-finale originelle de 1930.

Face aux joueuses unies, USSF oppose un argument principal : le football au masculin génère plus de revenus que le football au féminin, citant les 8 millions d’euros versés par la FIFA pour le huitième de finale des hommes en 2014, contre 1,7 million d’euros pour le titre des femmes en 2015.

Les plaignantes contestent et considèrent, selon leurs calculs, qu’elles génèrent plus de revenus en ce qui concerne la billetterie et la vente de maillots. Elles prennent aussi un malin plaisir à souligner que leur finale de 2015 constitue le record d’audience aux Etats-Unis pour un match de football (25 millions de téléspectateurs).

Deux mois avant le Mondial, à l’issue d’une séance d’entraînement de son club, North Carolina Courage, la défenseuse internationale Crystal Dunn expliquait au Monde le contexte de cette action : « Ce n’est pas juste une question d’argent, les gens doivent réaliser que cela concerne aussi les terrains et tout ce qui tourne autour du fait d’être professionnelles. » Sa coéquipière Abby Dahlkemper enchérissait : « C’est le moment idéal pour pousser nos demandes d’égalité. C’est très puissant d’agir collectivement. Ces questions sont de plus en plus médiatiques. »

Soutien de Serena Williams

Le contexte politique actuel aux Etats-Unis est également propice aux revendications. « Les gens sont prêts à avoir cette discussion. Quand on parle de l’équipe féminine, on parle aussi de cette action en justice, raconte Joshua Robinson, correspondant sportif en Europe du Wall Street Journal. Les joueuses sont assez convaincantes dans leurs propos et ont réussi à mobiliser du monde sur le fait que ce n’est pas normal qu’elles soient payées nettement moins que les hommes quand la différence de qualité entre les deux sélections est tellement claire. »

Les soutiens ne manquent pas, comme celui, prestigieux, de la vedette du tennis mondial, Serena Williams : « Je pense qu’à un moment donné, dans chaque sport, il faut avoir ses pionniers, et peut-être que c’est le moment du football. » L’une des icônes du soccer, championne du monde en 1999 devant plus de 90 000 spectateurs au Rose Bowl de Pasadena, Brandi Chastain, soutient ses successeuses : « Je serai toujours du côté des femmes qui combattent pour leurs droits. Cette plainte est très positive, même excitante. Mais je suis frustrée et fatiguée que l’on ait encore besoin d’avoir cette conversation. »

Contrairement à l’Europe, où les sportifs n’osent pratiquement jamais prendre publiquement position durant leur carrière, les Etats-Unis possèdent une tradition d’athlètes engagés. « Les athlètes n’ont pas peur de se servir de la plate-forme que représente le sport, comme les joueurs de NBA qui portent un tee-shirt Black Lives Matter ou, en NFL, Colin Kaepernick qui a mis le genou à terre pendant l’hymne national [pour protester contre les violences policières infligées aux Noirs américains] », rappelle Joshua Robinson.

L’une des meneuses des footballeuses, Megan Rapinoe, qui a été en 2016 la première sportive blanche à mettre un genou à terre en soutien à Kaepernick, en est l’exemple le plus frappant. Mardi 11 juin, face à la Thaïlande, celle qui est aussi une militante des droits LGBT a récidivé en tenant sa promesse de ne plus chanter l’hymne américain, en signe de protestation contre la politique de Donald Trump envers les minorités.

Dans un récent article du New York Times Magazine, Rapinoe soulignait à propos de la plainte des joueuses : « Nous préférerions de loin ne pas avoir à nous engager dans des litiges. Nous préférerions de loin ne pas être celles qui doivent protester. Nous préférerions être considérées comme des partenaires à part entière et des partenaires commerciaux. Mais évidemment, ce n’est pas le cas. » Le combat n’est pas terminé.