Des manifestants à Hongkong opposés au projet de loi controversé visant à autoriser les extraditions vers la Chine, dimanche 16 juin 2019. / DALE DE LA REY / AFP

« Soyez courageuse, Carrie Lam, démissionnez ! » lance l’éternel révolté et pilier du camp pro-démocratie de Hongkong, Leung Kwok-hung, surnommé Long Hair, devant un parterre de caméras et de journalistes réunis en plein air, samedi 15 juin en fin de journée, sur la grande pelouse du Square Tamar qui descend en pente douce vers la mer. Arborant une version maillot de foot de ses tee-shirts portant toujours l’effigie de Che Guevara, l’ancien député (disqualifié de son siège au parlement pour avoir mal prêté serment en 2016), rappelle qu’après les grandes manifestations de 2003 contre l’adoption d’un article de loi réprimant toute activité de subversion, sécession et trahison - le redouté « article 23 » -, la ministre de la sécurité de l’époque, Regina Ip, avait démissionné. Et Teresa May a également démissionné, observe-t-il avec ironie…

La « suspension » du projet de loi controversé, annoncée quelques heures plus tôt par la cheffe de l’exécutif, ne suffit donc pas aux organisateurs de la marche de 1 million de personnes du 9 juin, qui ont décidé de maintenir la nouvelle mobilisation comme prévu, le dimanche 16 juin. « Le gouvernement a trop souvent fait des promesses non tenues par le passé. Nous voulons un retrait total de cette loi. » Ils se disent également « tout à fait insatisfaits des propos tenus par Carrie Lam, qui a refusé de s’excuser pour ce fiasco et n’a pas retiré ses propos sur les manifestants du 12 juin qu’elle a honteusement qualifiés d’émeutiers », un statut passible de dix ans de prison. Jimmy Sham, le délégué général du Front civil des droits de l’homme, estime l’attitude de Carrie Lam « arrogante, ignorante et hypocrite ».

Le front affirme avoir sondé en direct l’humeur des Hongkongais, par l’intermédiaire de nombreux groupes avec lesquels ils sont connectés : ils sont nombreux à souhaiter une nouvelle occasion d’exprimer leur désaveu du gouvernement. « Le nombre nous importe moins pour cette fois-ci », indique l’un des fondateurs du Front et ancien député du Labour Party, Lee Cheuk-yan.

Ambiance électrique

Deux heures plus tôt, dans la grande salle de presse du gouvernement de Hongkong, l’ambiance est électrique quand Carrie Lam y pénètre vers 15 h 15. Elle est livide. Depuis quelques heures, Hongkong est parcourue de rumeurs quant à l’avenir du projet de loi sur l’extradition qui a mobilisé presque tous les secteurs de la société hongkongaise, milieux d’affaires, avocats, écoles et universités, et surtout la société civile dans son ensemble, jusqu’aux classes les plus modestes de la « Région Administrative Spéciale » de Hongkong, censée jouir d’un haut degré d’autonomie vis-à-vis de la Chine jusqu’en 2047.

Carrie Lam avait dit et redit que cette loi passerait, mais la marche d’un million de personnes de dimanche 9 juin, suivie de la manifestation de la jeunesse hongkongaise qui a viré à des affrontements violents mercredi 12 juin, ont achevé de convaincre tout le monde, y compris Pékin, semble-t-il, qu’il fallait désamorcer la crise.

Elle a donc été lâchée par son propre camp et a été acculée à renoncer. Comme attendu, la cheffe de l’exécutif commence par justifier sa démarche qui partait, certes, d’une bonne intention… Elle parle d’ailleurs beaucoup « d’empathie ». Il s’agissait de rendre justice à « M. et Mme Poon », les parents de la jeune femme hongkongaise, assassinée lors d’un séjour à Taiwan par son fiancé de l’époque, lequel a avoué son meurtre à son retour à Hongkong, mais ne peut être jugé ici pour un meurtre commis en dehors du territoire et ne peut pas non plus être extradé en l’absence d’un traité avec Taiwan. Cela fait toutefois plus d’un mois que le gouvernement taïwanais a indiqué que, quand bien même ce texte serait adopté, il n’y aurait pas recours, en aucune circonstance, pour des raisons politiques.

« Refuge pour fugitifs »

Carrie Lam indique aussi que Hongkong ne doit pas devenir un « refuge pour fugitifs ». Elle rappelle qu’elle a accepté des changements à plusieurs reprises. Mais « en tant que gouvernement responsable, il faut donner priorité à l’ordre public et éviter que d’autres policiers et citoyens soient blessés ». Elle propose donc de « faire une pause pour réfléchir », comme le lui ont suggéré tous les membres de la majorité pro-Pékin, explicitement nommés « le camp pro-establishment », qu’elle remercie profusément.

Elle en arrive à enfin annoncer la « suspension » de la loi - et non son abandon -, en précisant toutefois qu’elle n’y mettra aucune échéance. Concrètement, le Legco (parlement) n’aura plus à plancher sur ce texte jusqu’à nouvel ordre. Les questions fusent ensuite : Quelqu’un va-t-il assumer la responsabilité de ce fiasco ? Va-t-elle démissionner ? Va-t-elle s’excuser d’avoir traité les jeunes manifestants d’émeutiers ? En guise d’excuses, elle n’offre que son « profond chagrin et ses regrets » et demande une « seconde chance ». Fâchée d’une ultime question désagréable, Carrie Lam finit par quitter cette salle de presse survoltée et généralement hostile. Un autre rendez-vous manqué avec les médias et donc indirectement avec les Hongkongais.

Pour la marche de dimanche, outre « Carrie Lam Démission » et « Retrait total de la loi d’extradition », les organisateurs ont également suggéré que les marcheurs apportent une fleur à déposer au pied de Pacific Place, l’immeuble d’où est tombé et s’est tué samedi un activiste qui accrochait une bannière réclamant le retrait total de la loi d’extradition. Le premier « mort » de cette crise qui a déjà fait plus de 80 blessés, et une raison de plus pour les marcheurs de porter du noir dimanche.

Pourquoi Hongkong est (encore) dans la rue
Durée : 07:14