Christine Lagarde, directrice du Fonds monétaire internationale et Mario Draghi, président de Banque centrale européenne, le 25 mai 2014, lors de la première édition du Forum de la BCE à Sintra. / SERGIO GARCIA / AFP

C’est la fin d’une ère. Celle de Mario Draghi, dont le mandat à la présidence de la Banque centrale européenne (BCE) s’achève en octobre : considéré comme le sauveur de l’euro, il fut à la manœuvre lors de la crise des dettes de 2012, et de la laborieuse reprise qui a suivi. Réunis du 17 au 19 juin à Sintra, près de Lisbonne, les participants au Forum de la BCE, banquiers centraux de tous les continents, académiciens et économistes de haut vol, auront tous la même chose en tête : d’ici quelques mois, l’institut monétaire aura un visage radicalement différent, car nombre de ses membres auront changé. Or, la composition de la nouvelle équipe sera déterminante à plus d’un titre pour le futur de l’union monétaire. Et peut-être même, pour sa survie.

Peu connu du grand public, le symposium de Sintra tient pourtant une grande importance dans le monde policé des grands argentiers. Il est né en 2014, dans un but précis : faire contrepoids à Jackson Hole (Wyoming, Etats-Unis) où, tous les étés depuis 1981, banquiers centraux et observateurs se retrouvent sous l’égide de la Réserve fédérale (Fed) afin de confronter leurs idées, loin du tumulte des Bourses et des turpitudes politiques de Washington.

Cette année, le forum européen réunira une centaine de participants au Portugal : outre Mario Draghi et les membres de son directoire Luis de Guindos, Benoît Coeuré et Philippe Lane, seront également présents Janet Yellen et Stanley Fischer, anciens numéro 1 et nméro 2 de la Fed, Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, ainsi que des économistes de renommée internationale, tels que Laurence Boone, chef économiste de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Gita Gopinath, son homologue au Fonds monétaire international (FMI) et Olivier Blanchard, ancien du FMI. « Il manquait une telle arène à l’Europe, observe Louis Harreau, économiste au Crédit agricole. Depuis sa création, Sintra ne cesse de prendre de l’ampleur ».

Universitaires triés sur le volet

Et pour cause : à chaque édition, des universitaires triés sur le volet présentent leurs derniers travaux en économie. « Cela illustre le lien que la BCE a tissé avec la recherche », remarque Agnès Bénassy-Quéré, économiste à Paris-I-Panthéon-Sorbonne, qui assiste régulièrement au forum. Les thèmes sont aussi variés que le marché du travail, l’innovation, la démographie ou la concurrence. « Tous contribuent à la compréhension du fonctionnement de l’économie, et de la façon dont la politique monétaire, par les taux d’intérêt ou les rachats de dette, peut l’influencer », ajoute Guntram Wolff, directeur du centre de réflexion bruxellois Bruegel, qui ne rate jamais une édition. Cela n’a l’air de rien, mais à l’heure où les outils dont disposent les banques centrales pour agir sur l’activité s’amenuisent, de telles réflexions sont essentielles.

Souvent, Mario Draghi profite de son discours introductif pour glisser quelques messages concernant sa politique. « Mais le plus intéressant est ce qui se déroule en coulisses, lors des discussions informelles », confie un habitué. Dans le parc luxuriant entourant l’hôtel où se déroule l’événement, trois grands types de profils, aux horizons de travail différents, se croisent : les banquiers centraux, les académiques, dont les travaux portent sur le temps long, et les économistes de marché, plutôt concentrés sur le court terme. Les premiers enrichissent leur pensée auprès des seconds et vérifient, auprès des troisièmes, si leurs messages monétaires sont toujours bien reçus par les marchés. « Pour nous, ces discussions sont un excellent baromètre, ajoute Gilles Moec, économiste chez Axa. Elles permettent de prendre le pouls, mesurer les sujets de préoccupation de ceux travaillant au cœur de la zone euro. »

Les 20 ans l’euro, au centre des débats

En 2016, le Brexit était ainsi au cœur des débats. En 2018, la guerre commerciale et la dette italienne – déjà - monopolisaient les esprits. Cette année, le symposium porte officiellement sur les 20 ans l’euro. « Un choix judicieux, à l’heure où les chefs d’Etats sont sur le point de renouveler la tête des principales institutions européennes », souffle un participant. Dans le délicat exercice d’équilibre entre les différentes sensibilités et nationalités, le choix du président de la Commission déterminera celui du prochain patron de la BCE. Ce dernier aura-t-il la même force de conviction que Mario Draghi ? Dans tous les cas, il devra faire preuve de créativité et de pragmatisme pour continuer de soutenir l’économie européenne vacillante.

Reste une question : les rencontres de Sintra ne souffrent-elles pas d’un certain entre-soi ? Des organisations non gouvernementales regrettent en effet que les panels, rediffusés en direct sur le site de la BCE, ne soient pas plus ouvertes à la société civile. Peut-être. Mais si lors de sa création, l’institut de Francfort faisait l’effet d’une tour d’ivoire, il multiplie, depuis quelques années, les initiatives afin d’ouvrir la discussion avec les citoyens européens. A l’exemple du Youth Dialogue, le « dialogue avec la jeunesse », lancé en juin 2017 par Mario Draghi. Régulièrement, des membres de l’institution vont à la rencontre d’étudiants, afin de se prêter au jeu, pas toujours évident, des questions-réponses.