Voici un corrigé du troisième sujet de l’épreuve de philosophie du bac 2019, série S, que Le Monde vous propose en exclusivité, en partenariat avec Annabac, par Patrick Ghrenassia, professeur agrégé de philosophie.

Il s’agit de l’analyse d’un texte de Freud extrait de L’avenir d’une illusion (1927).

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Le texte

« La science a beaucoup d’ennemis déclarés, et encore plus d’ennemis cachés, parmi ceux qui ne peuvent lui pardonner d’avoir ôté à la foi religieuse sa force et de menacer cette foi d’une ruine totale. On lui reproche de nous avoir appris bien peu et d’avoir laissé dans l’obscurité incomparablement davantage. Mais on oublie, en parlant ainsi, l’extrême jeunesse de la science, la difficulté de ses débuts, et l’infinie brièveté du laps de temps écoulé depuis que l’intellect humain est assez fort pour affronter les tâches qu’elle lui propose. Ne commettons-nous pas, tous tant que nous sommes, la faute de prendre pour base de nos jugements des laps de temps trop courts ? Nous devrions suivre l’exemple des géologues. On se plaint de l’incertitude de la science, on l’accuse de promulguer aujourd’hui une loi que la génération suivante reconnaît pour une erreur et remplace par une loi nouvelle qui n’aura pas plus longtemps cours. Mais ces accusations sont injustes et en partie fausses. La transformation des opinions scientifiques est évolution, progrès, et non démolition. Une loi, que l’on avait d’abord tenue pour universellement valable, se révèle comme n’étant qu’un cas particulier d’une loi (ou d’une légalité) plus générale encore, ou bien l’on voit que son domaine est borné par une autre loi, que l’on ne découvre que plus tard ; une approximation en gros de la vérité est remplacée par une autre, plus soigneusement adaptée à la réalité, approximation qui devra attendre d’être perfectionnée à son tour. Dans divers domaines, nous n’avons pas encore dépassé la phase de l’investigation, phase où l’on essaie diverses hypothèses qu’on est bientôt contraint, en tant qu’inadéquates, de rejeter. Mais dans d’autres nous avons déjà un noyau de connaissances assurées et presque immuables. »

Les enjeux du texte

• Dans cet extrait de L’Avenir d’une illusion, Freud, le père de la psychanalyse, examine les critiques adressées à la science, et tente d’y répondre.

• Cette défense de la science s’oppose principalement aux accusations venant de la religion, et reprochant à la science d’avoir détruit la foi au profit d’une connaissance bien incertaine. L’enjeu est donc de savoir si la science constitue un réel progrès vers la vérité, ou si elle est un gâchis inutile avec la perte dangereuse de la foi qu’elle provoque.

• Or l’auteur, dans cet ouvrage, critique ouvertement la religion comme « illusion », c’est-à-dire comme fausse croyance née de besoins inconscients de protection et de réconfort. La vérité scientifique doit, selon lui, dissiper cette illusion infantile et, par la science, permettre à l’humanité de devenir adulte.

Plan détaillé

1. Les ennemis de la science

A. LES ENNEMIS DÉCLARÉS

• Des « ennemis déclarés » sont les principales victimes de la science, ceux dont les convictions ont été ruinées par les découvertes scientifiques ; comme les partisans des croyances religieuses sur l’origine du monde et de l’homme.

• Galilée fut victime de ces « ennemis » déclarés, lorsque l’Inquisition le condamna pour avoir soutenu que la terre tourne.

B. LES ENNEMIS CACHÉS

• Encore plus nombreux, ces ennemis sont « cachés » en ce qu’ils prétendent accepter la science en apparence, mais la sapent de l’intérieur en insistant sur ses faiblesses et ses insuffisances. Ces faux amis sont des traîtres à la science, d’autant plus dangereux qu’ils s’en réclament.

• On peut supposer que ces ennemis cachés sont les auteurs de principales accusations contre la science auxquelles Freud répond : la science sait bien peu de choses ; l’histoire de la science consiste en une suite d’erreurs, la science est donc incertaine.

2. La science est-elle pauvre ?

A. L’OBJECTION : UN SAVOIR SCIENTIFIQUE LIMITÉ

• On reproche à la science d’avoir remplacé une religion qui explique tout, par des connaissances très limitées. On aurait donc perdu au change, on a été trompé par une imposture sur ce nouveau savoir.

• De fait, les grandes religions proposent une vision du monde exhaustive à travers leurs mythes et légendes. La science, au contraire, est souvent frustrante et décevante, donnant une petite part de vérité ouvrant sur une grande part d’inconnu.

B. LA RÉPONSE DE FREUD : LA JEUNESSE DE LA SCIENCE.

• Comparée à l’ancienneté des croyances religieuses, la science est « jeune ». Il faut donc être prudent et tolérer « l’infinie brièveté » (un bel oxymore !) du temps de la science. Ne condamnons pas à l’avance un enfant qui n’en est qu’à ses premiers et s’avère pourtant déjà plein de promesses.

• De fait, l’astronomie et la physique expérimentale commencent au XVI-XVIIe siècles, avec Galilée, puis Newton. La chimie et la biologie ne datent que du XIXe siècle, et pourtant les progrès et découvertes sont spectaculaires (ADN, manipulation génétique, théorie de l’évolution).

3. La science est-elle incertaine ?

A. L’OBJECTION : UNE HISTOIRE D’ERREURS

• La deuxième accusation objecte que la science n’est qu’une succession d’erreurs, corrigées par d’autres erreurs. En somme, tout serait faux dans la science, ou tout serait vérité provisoire et en sursis.

• De fait l’histoire des sciences est une suite d’erreurs, et c’est pour cela qu’il y a justement une histoire. Le géocentrisme de Ptolémée a été réfuté et remplacé par l’héliocentrisme de Copernic. L’univers infini de Newton et Einstein a remplacé le monde plein d’Aristote et de Descartes. Et chaque jour, chaque découverte scientifique réfute une théorie précédente, en attendant d’être elle-même réfutée.

B. LA RÉPONSE : LA SCIENCE EST UNE VÉRITÉ EN CONSTRUCTION

• L’auteur ne nie pas les erreurs scientifiques. Mais, il en donne une interprétation positive comme progrès de la vérité : l’histoire des sciences est « évolution, progrès, et non démolition. »

• Chaque étape de la science est perfectionnement d’une approximation, ou élargissement d’une hypothèse limitée. L’auteur pense peut-être à la théorie de la relativité d’Einstein qui remplace la mécanique newtonienne, en l’intégrant comme un cas particulier. On peut ajouter à l’argument de Freud, que ces réfutations et cette évolution est un gage de vérité : en effet, comme le soutient Popper, la réfutabilité d’une hypothèse est critère de sa scientificité. En d’autres termes, une théorie qui explique tout et n’est jamais réfutable n’est pas vraie, comme Popper le reproche aux « fausses sciences » que sont à ses yeux le marxisme… et la psychanalyse de Freud justement ! Preuve que les défenseurs de la science ne sont pas toujours d’accord entre eux.

Conclusion

Freud conclue en distinguant un noyau de connaissances sûres, et une majorité d’hypothèses à vérifier. La science se caractérise par sa modestie et sa prudence dans sa démarche. Reste que si la vérité scientifique est peu contestée, la question reste ouverte sur son rapport à la foi : la science doit-elle remplacer la religion, ou les deux peuvent-elles coexister ?

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