Michael Lauber, le procureur fédéral suisse, en juillet 2015. / FABRICE COFFRINI / AFP

Chargé des affaires de scandales de corruption liées à la Fédération internationale de football (FIFA) depuis mars 2015, le procureur général suisse Michael Lauber, 53 ans, a été récusé, lundi 17 juin, par la cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral suisse de Bellinzone, a appris Le Monde.

Deux demandes de récusation avaient été émises en novembre 2018 par le Français Jérôme Valcke, ex-secrétaire général de la FIFA (2007-2015), qui fait l’objet de procédures pénales ouvertes en 2016 et 2017 par le ministère public de la Confédération helvétique (MPC). Un second prévenu avait fait la même requête. Selon nos informations, il s’agit de Markus Kattner, l’ex-directeur financier de la FIFA. « Le plus important pour lui : le MPC a arrêté toutes les procédures contre lui depuis le 10 avril », assure son conseil et porte-parole, Edwin van der Geest.

M. Lauber est ainsi contraint de se récuser dans les procédures menées contre l’ancien numéro deux de l’organisation mondiale et se trouve dessaisi du dossier du « FIFAgate ». Ancien chef de la division criminalité économique du parquet suisse, suspendu par le MPC avant de quitter son poste en novembre 2018, Olivier Thormann a lui aussi été récusé, ainsi qu’un troisième procureur, par prévention. « Ni M. Valcke ni moi ne souhaitons faire de commentaire, assure au Monde Me Patrick Hunziker, l’avocat de M. Valcke. Il reste à déterminer comment le MPC va-t-il remédier à plus de trois années de procédures inéquitables ? »

Réunions secrètes entre M. Lauber et Gianni Infantino

Les demandes de récusation déposées les 6 et 26 novembre 2018 par M. Valcke ont été motivées par les révélations des « Football Leaks ». Ces derniers attestaient de deux rencontres informelles entre M. Lauber et Gianni Infantino, président de la FIFA depuis 2016. A la demande de la FIFA, partie civile dans les procédures en cours, le premier rendez-vous a eu lieu à l’hôtel bernois Schweizerhof, le 22 mars 2016, cinq jours après l’ouverture d’une procédure pénale contre Jérôme Valcke.

Ami d’enfance de M. Infantino et premier procureur du Haut-Valais, Rinaldo Arnold a organisé cette première rencontre. Soupçonné « d’acceptation d’avantages » et « éventuellement [de] corruption passive », M. Arnold a été « blanchi », le 10 avril, par le procureur extraordinaire Damian K. Graf, nommé par le ministère public du canton du Valais.

Le 22 avril 2016, une deuxième rencontre de MM. Infantino et Lauber a eu lieu au restaurant Au Premier, à Zurich. Outre le chef de la division criminalité économique du parquet suisse, Olivier Thormann, Marco Villiger, alors directeur juridique de la FIFA, a également assisté à ce rendez-vous.

Candidat à un nouveau mandat pour la période 2020-2023, M. Lauber fait actuellement l’objet d’une enquête disciplinaire de l’autorité de surveillance du MPC (AS-MPC) pour avoir rencontré secrètement, en juin 2017, Gianni Infantino, et ne pas l’avoir mentionné lors de son premier interrogatoire. Le contenu des échanges, qui ont eu lieu en dehors de tout cadre procédural, n’a jamais été notifié.

En formulant ses demandes de récusation, M. Valcke a pointé les réunions secrètes entre MM. Lauber et Infantino. Il a par ailleurs fait état des liens étroits (échanges de SMS à l’appui) entre M. Thormann et Marco Villiger, ex-directeur juridique de la FIFA. Ce dernier, exfiltré de la Fédération en août 2018, est soupçonné par plusieurs sources d’avoir transmis au MPC l’information relative au paiement de deux millions de francs suisses (1,8 million d’euros) versés en 2011 par l’alors président de la FIFA (1998-2015) Sepp Blatter, qui fait l’objet d’une procédure pénale dans cette affaire, à Michel Platini.

« Je recommence à avoir confiance en la justice suisse », a répondu ironiquement au Monde M. Blatter, 83 ans après la récusation de M. Lauber. L’ex-patron du football mondial avait, lui, fait une demande de récusation visant le remplaçant putatif de M. Thormann « pour éviter des soupçons de conflit d’intérêts » car ledit procureur, Thomas Hildbrand, serait lié à sa famille et viendrait de sa ville natale, Viège (canton du Valais).

M. Lauber « s’est impliqué personnellement »

Les juges considèrent que M. Lauber a joué un rôle plus important que celui de simple directeur de l’institution et qu’il s’est « impliqué personnellement au niveau opérationnel dans les procédures », allant jusqu’à demander à un procureur de classer un des volets. Son impartialité a été remise en question par le Tribunal pénal fédéral.

M. Lauber était en première ligne depuis le 27 mai 2015 et le raid anticorruption mené par la justice américaine et l’arrestation de dirigeants de la Fédération internationale de football (FIFA) à l’hôtel Baur au lac de Zurich.

En concertation avec Loretta Lynch, alors ministre de la justice états-unienne, M. Lauber venait de perquisitionner le siège de l’instance mondiale et de saisir une masse colossale de données. Depuis, il a lancé une vingtaine d’enquêtes en lien avec le « FIFAgate ».

A la suite d’une plainte déposée par la FIFA, en novembre 2014, le procureur s’est par ailleurs penché sur l’attribution controversée des Coupes du monde 2010 (Afrique du Sud), 2018 (Russie) et 2022 (Qatar). Une enquête a également été ouverte sur la désignation de l’Allemagne comme pays hôte du Mondial 2006. A ce jour, le MPC a relevé « 180 rapports d’activités financières suspectes ».

La décision du Tribunal pénal fédéral représente un camouflet pour M. Lauber, dont la réélection a été reportée au mois de septembre par la commission judiciaire du Parlement.