Nicolas Sarkozy et l’émir du Qatar, Tamim bin Hamad al-Thani, au Parc des princes, en novembre 2015. / FRANCK FIFE / AFP

L’ancien président de l’Union des associations européennes de football (UEFA), Michel Platini, dont la suspension par la Fédération internationale de football (FIFA) de « toute activité liée au football » pour « violation du code d’éthique » prendra fin en octobre, avait été convoqué pour être entendu comme témoin, mardi 18 juin, à Nanterre, par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), a appris Le Monde. Cette audition, dans le cadre d’une enquête ordonnée par le parquet national financier (PNF), « visant des faits présumés de corruption active et passive de personne n’exerçant pas de fonction publique » dans le cadre de l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar, a débouché sur sa garde à vue.

En 2016, le PNF a ouvert une enquête préliminaire pour « corruption privée », « association de malfaiteurs », « trafic d’influence et recel de trafic d’influence » autour de l’obtention du tournoi par l’émirat. M. Platini, qui a reconnu avoir voté pour le Qatar lors du scrutin d’attribution du 2 décembre 2010, avait déjà été auditionné comme témoin en décembre 2017.

Le PNF s’intéresse, entre autres, au déjeuner organisé le 23 novembre 2010 à l’Elysée, en présence de Nicolas Sarkozy, de Michel Platini, de l’émir actuel du Qatar, Tamim Ben Hamad Al Thani, du cheikh Hamad Ben Jassem, alors premier ministre et ministre des affaires étrangères de l’émirat. Selon les archives de l’Elysée, auxquelles Le Monde a eu accès, Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée, et Sophie Dion, à l’époque conseillère technique chargée des sports de M. Sarkozy, ont également participé à ce déjeuner. M. Guéant a été auditionné, mardi sous le statut de « suspect libre », selon Médiapart.

Les liens entre M. Sarkozy et M. Bazin

« Je savais que j’allais voter pour le Qatar avant le déjeuner et je suis allé voir Nicolas Sarkozy pour lui dire. Je ne savais pas que les Qataris y seraient, a toujours dit au Monde M. Platini qui a d’abord voulu donner son suffrage aux Etats-Unis avant de se prononcer en faveur de l’émirat. En allant au déjeuner, j’ai supputé que le président Sarkozy aurait souhaité que je vote pour le Qatar. Mais il ne me l’a jamais demandé. J’ai ensuite appelé Sepp Blatter (l’ex-président de la Fédération internationale) pour lui faire part de cette rencontre. »

En octobre 2010, un mois avant le déjeuner à l’Elysée, M. Platini avait rencontré, à Genève, Tamim Al Thani. Cet échange avait eu lieu en marge d’une présentation faite à Nyon, au siège de l’UEFA, de la candidature qatarie.

La justice française cherche à faire la lumière sur les dessous de ce déjeuner organisé à l’Elysée par l’entourage de M. Sarkozy, une dizaine de jours avant le vote d’attribution du Mondial 2022. Depuis près de neuf ans, cette réunion alimente les soupçons de collusion d’intérêts ou d’interventionnisme d’Etat dans les affaires sportives. Elle intervient huit mois avant le rachat, en juin 2011, du Paris-Saint-Germain, cher à M. Sarkozy, par le fonds Qatar Sports Investments (QSI) pour 76 millions d’euros, réglés en une seule fois. M. Platini était opposé à cette vente.

Depuis 2006, le PSG était la propriété du fonds américain Colony Capital, dont le représentant en France est l’homme d’affaires Sébastien Bazin, ami intime de l’ex-chef de l’Etat depuis mai 1993 et la prise d’otages dans une école maternelle de Neuilly-sur-Seine. Maire de la commune, M. Sarkozy avait mené les négociations avec le forcené « Human Bomb », lesté de deux kilos de dynamite, pour libérer les 21 otages dont la fille de M. Bazin.

En 2017, M. Sarkozy a rejoint le conseil d’administration du groupe hôtelier Accor, dont M. Bazin est le PDG. En février 2019, Accor est devenu le sponsor maillot du PSG pour trois ans et plus de 50 millions d’euros par saison. Selon nos informations, M. Bazin n’était pas présent au déjeuner du 23 novembre 2010.

La participation de M. Sarkozy aux Doha Goals, en 2012

Par ailleurs, la justice française cherche savoir s’il a été question, ce 23 novembre 2010, de la création à venir de la chaîne de télévision BeIN Sports, filiale du groupe qatari Al-Jazira, lancée en juin 2012 pour l’Euro et dirigée alors par Nasser Al-Khelaïfi, l’actuel président du PSG et lui aussi proche de Nicolas Sarkozy.

En décembre 2012, l’ancien chef de l’Etat s’était félicité de l’attribution du Mondial 2022 au Qatar à la tribune des Doha Goals, forum sur le sport organisé par l’homme d’affaires Richard Attias, mari de son ex-épouse Cécilia. Il s’était rendu au Qatar dans un jet privé, facturé à la société Lov Group de l’homme d’affaires Stéphane Courbit. En 2016, un non-lieu avait été ordonné par les juges d’instructions sur ce dossier.

De son côté, l’ex-conseillère Sophie Dion a assuré, en 2015, au Monde qu’elle n’avait jamais participé au déjeuner. Entendue par la justice française, l’ex-députée (Les Républicains) de la Haute-Savoie (2012-2017) entretient des liens privilégiés avec l’émirat : elle a été vice-présidente du groupe d’amitié France-Qatar à l’Assemblée nationale. Sa chaire sur « L’éthique et la sécurité dans le sport » à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne est financée par le Centre international pour la sécurité dans le sport (ICSS), une fondation de droit qatarien, approvisionnée par l’émirat.

Les liens étroits entre le gouvernement français et l’émirat gazier ont par ailleurs transparu, près de neuf ans après ce déjeuner à l’Elysée, lorsque le premier ministre Edouard Philippe a signé, en mars, lors d’une visite à Doha, un accord de coopération entre les deux pays autour de la sécurité du Mondial 2022.

Le déjeuner à l’Elysée, angle d’attaque de Sepp Blatter

La justice française s’intéresse également aux récentes révélations du Sunday Times, selon lesquelles un contrat secret a été passé entre la Fédération internationale de football (FIFA) et la chaîne Al-Jazira, trois semaines avant le scrutin d’attribution. Un bonus de 100 millions de dollars était prévu en cas de victoire du Qatar. La somme a été versée à la FIFA. Par ailleurs, les membres votants du comité exécutif de la FIFA se sont vus chacun proposer un bonus de 200 000 dollars avant le scrutin, après le succès du Mondial 2010, en Afrique du Sud.

Selon nos informations, le PNF souhaite réentendre l’ex-président suisse de la FIFA (1998-2015), Sepp Blatter, 83 ans. Les enquêteurs français veulent reprendre leur interrogatoire pour approfondir certains points relatifs à la campagne d’attribution. Ils avaient déjà auditionné M. Blatter comme témoin, en Suisse, en avril 2017, dans le cadre d’une procédure d’entraide avec les autorités helvétiques.

Sepp Blatter assure avoir voté pour les Etats-Unis et regretté la victoire du Qatar. Or, plusieurs indices et sources laissent supposer qu’il a donné sa voix à l’émirat lors du 4e et dernier tour de scrutin. « Le choix du Qatar résulte de l’intervention française, qui a changé quatre voix », insiste l’ex-patron du foot mondial, suspendu jusqu’en 2021. Depuis plusieurs années, le déjeuner du 23 novembre 2010 est devenu un angle d’attaque pour M. Blatter, soucieux de déstabiliser Michel Platini, devenu son adversaire politique.