« Marcel Proust, à l’ombre de l’imaginaire », édition 2019, 124 pages, 8,50 euros.

Hors-série. Il y aura cent ans, le 10 décembre 1919, Marcel Proust obtenait le 17e prix Goncourt pour A l’ombre des jeunes filles en fleurs. Par quel mystère un écrivain mondain, snob, asthmatique et spécialisé dans l’exploration des sensations infimes a-t-il pu devenir, en moins d’un siècle, l’objet d’un culte planétaire ?

Et par quel miracle une œuvre, née entre fumigations et murs de liège, entre dîners en ville, médisances, singularités sexuelles et cruauté sociale « à la française », est-elle parvenue à parler, d’une même voix, au cœur d’un Japonais, d’un Américain, d’un Iranien, d’un Coréen ?

Aujourd’hui, à l’heure où des hordes d’exégètes quasi talmudiques commentent à l’infini les trois mille pages d’A la recherche du temps perdu, nous avons pris, dans ce hors-série, le parti le plus simple : donner envie de (re)lire un chef-d’œuvre unique en son genre et éclairer la troublante personnalité du génie qui sut le concevoir, d’après nature, à travers mille souffrances.

La vraie vie, c’est la littérature

Dans un entretien, le philosophe Nicolas Grimaldi nous explique que l’œuvre de Proust repose sur l’idée que la réalité n’est qu’intérieure. Et que le souvenir involontaire, qui surgit lors d’une lecture, de la contemplation d’un tableau ou à l’écoute d’un morceau de musique, constitue la seule porte permettant d’accéder à ce réel.

Quant à Charles Dantzig, essayiste et romancier, il voit dans La Recherche une bombe gay, où la plupart des personnages sont homosexuels, mais, où, paradoxalement, le narrateur, Marcel, lui, a un point de vue hétérosexuel qui regarde ce petit monde à travers un trou de serrure et n’échappe pas aux clichés.

L’écrivain Michel Schneider montre que, pour Proust, la vraie vie, c’est la littérature. Par l’écriture, il s’est évadé de la douleur de n’être que soi pour s’ouvrir à la complexité des autres… Claude Arnaud, qui a publié un Proust contre Cocteau (Grasset, 2013), revient sur l’étrange relation amour-haine qui lia les deux écrivains.

Des textes de grandes figures littéraires comme Aragon, Céline, Gide, Gracq, Mauriac, Leiris, Nabokov ou Sollers illustrent l’admiration et la détestation que suscita l’auteur d’Un amour de Swann… Et puissent les pages de ce volume, Marcel Proust : à l’ombre de l’imaginaire, de la collection « Une vie, une œuvre » publiée par Le Monde, permettre de comprendre qu’en s’amusant avec Proust, ou qu’en pensant avec lui, on devient plus lucides et meilleurs.

Jean-Paul Enthoven a été le conseiller éditorial de ce hors-série, avec son fils, Raphaël Enthoven. Ils ont publié en 2013 un Dictionnaire amoureux de Marcel Proust (Plon-Grasset, 736 p., 24,50 €).

« Marcel Proust, à l’ombre de l’imaginaire », édition 2019, Un hors-série du « Monde », 124 pages, 8,50 euros.