LA LISTE DE LA MATINALE

Semaine après semaine, les distributeurs égrènent la sélection cannoise : dans les salles, à partir de mercredi 19 juin, c’est au tour du film d’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, comédie absurde. Le Daim est accompagné d’un récit du « saut vers la liberté » que fit Rudolf Noureev en 1961, d’une peinture austère et émouvante d’une famille portugaise à l’heure de la crise, et de l’impressionnante série de chefs-d’œuvre réalisés par Joseph L. Mankiewicz, que propose la Cinémathèque.

« Le Daim » : l’habit fait le cinéaste

LE DAIM - Un film de Quentin Dupieux avec Jean Dujardin
Durée : 01:17

Quentin Dupieux fait mieux que réussir son pari dans ce huitième long-métrage où Jean Dujardin et Adèle Haenel jouent une partie de poker menteur diabolique sur un scénario en folie, qui suit Georges, homme quelconque qui veut sortir de l’ordinaire en acquérant pour une somme faramineuse un blouson en daim, auquel le vendeur ajoute généreusement un Caméscope. Ce qui fait de Georges un cinéaste, mais aussi, puisqu’il décide d’éliminer ceux de ses semblables qui portent le même type de vêtement, un serial killer.

En creux, Le Daim raconte le déclassement social d’un homme, qui, en l’espace d’une journée, n’est plus rien. Georges se prétend réalisateur mais ne connaît pas le vocabulaire et les codes du cinéma. Comédie hilarante, film d’horreur, conte à dormir debout et coup de bluff, Le Daim est enfin une mise en abyme du cinéma. D’une certaine manière, Dupieux nous renvoie à ses premières heures de cinéaste, lorsque, adolescent, il fabriquait des films de série Z ou rejouait Massacre à la tronçonneuse avec du ketchup. Clarisse Fabre

« Le Daim », film français de Quentin Dupieux. Avec Jean Dujardin, Adèle Haenel (1 h 17).

« Noureev » : d’un saut naquit une étoile

Bande annonce officielle de Noureev de Ralph Fiennes
Durée : 01:49

Autour du passage à l’Ouest qui, en 1961, a ouvert à Rudolf Noureev la voie d’une gloire planétaire sans précédent, tout en lui fermant le chemin de sa maison, le réalisateur Ralph Fiennes et le scénariste David Hare ont construit un labyrinthe qui tourbillonne dans le temps et dans l’espace, entre le Tatarstan stalinien et le Paris gaulliste, en passant par le Léningrad du dégel, au temps de Khrouchtchev.

Pour s’y retrouver, il faut suivre Rudi, l’enfant né en 1938 dans un wagon du Transsibérien, élevé dans la pauvreté en Bashkirie, loin de Moscou, qui débarque à 17 ans à Léningrad, capitale mondiale de la danse classique, et reçoit six ans plus tard, malgré ses manquements à la discipline socialiste, l’autorisation de partir avec la troupe du Kirov, pour une série de représentations à l’Opéra de Paris.

L’attention à l’histoire de la guerre froide, le soin avec lequel les personnages qui entourent le danseur sont mis en valeur, donnent à Noureev, malgré des moyens matériels de toute évidence limités, une texture que lui envieraient des biopics plus fortunés. Thomas Sotinel

« Noureev », film britannique de et avec Ralph Fiennes. Avec Oleg Ivenko, Adèle Exarchopoulos, Chulpan Khamatova, Raphaël Personnaz (2 h 07).

« Contre ton cœur » : sous les gelées de la crise, la pulsation de la vie

CONTRE TON COEUR de Teresa Villaverde - bande annonce
Durée : 01:46

Chronique des années d’austérité qu’a traversées le Portugal, Contre ton cœur, le film de Teresa Villaverde se penche sur les effets concrets des mesures économiques, non pas à l’échelle générale d’une société, mais au niveau le plus particulier et intime qui soit, là où elles causent le plus de désastres : au cœur de la cellule familiale.

Dans une banlieue portugaise, Marta (Alice Albergaria Borges, au visage inoubliable), lycéenne de 17 ans, tente de vivre son adolescence alors que ses parents traversent des difficultés sans précédent en chômage et emplois précaires.

Mettant au jour les douleurs muettes et enfouies, le cinéma de Teresa Villaverde peut sembler au premier abord d’une tristesse insondable. Mais il faut bien voir le mélange singulier de douceur et de douleur qui constitue en vérité l’essentiel de sa poésie. Par l’ouverture de ses cadres, la caresse de ses gros plans, la parcimonie des mouvements de caméra, la sérénité du montage, la cinéaste façonne des présences humaines d’un relief et d’une dignité bouleversants. Mathieu Macheret

« Contre ton cœur », film portugais et français de Teresa Villaverde. Avec Alice Albergaria Borges, Joao Pedro Vaz, Beatriz Batarda, Clara Jost, Tomas Gomes (2 h 16).

« Bernard Natan, le fantôme de la rue Francœur » : zone d’ombre du cinéma français

Bernard Natan, le fantôme de la rue Francoeur - Bande-annonce VF
Durée : 02:08

Les amateurs apprécieront, à travers ce film passionnant consacré à un ancien patron de la firme Pathé, un morceau d’archéologie de l’industrie du cinéma français.

Au cœur du récit, l’histoire exemplaire, et hélas tragique, de Bernard Natan. Originaire de Jassi, en Roumanie, Natan Tannenzapf fuit les pogroms antisémites pour Paris, où il est embauché comme chimiste par Pathé en 1906. Après une guerre exemplaire, il prend, en 1929 la tête de Pathé et donne à la vénérable société une nouvelle jeunesse, l’installant rue Francœur à Montmartre.

Victime des effets de la Grande Dépression, mais aussi de la jalousie de la profession, Natan est contraint à la démission en 1935. Dans une atmosphère violemment antisémite notamment animée par les distingués cinéphiles Lucien Rebatet, Maurice Bardèche et Robert Brasillach, il sera, sans que soit administrée la preuve des malversations dont on l’accuse, jugé coupable en 1939, emprisonné, déchu de sa nationalité par le maréchal Pétain, livré enfin aux nazis en 1942 par la police française, in fine déporté à Auschwitz.

Natan, fêté par la profession et le gouvernement aux riches heures de son triomphe, sera donc devenu, au premier coup de semonce et à l’heure de la montée des périls, le bouc émissaire de l’industrie cinématographique française. Cette terrible leçon, le film l’administre sous la forme d’un montage d’archives intelligemment utilisé, qu’un commentaire factuel, calme et argumenté rend d’autant plus cruel. Jacques Mandelbaum

« Bernard Natan, le fantôme de la rue Francœur », documentaire français de Francis Gendron (1 h 23).

Joseph L. Mankiewicz à la Cinémathèque : nuits aux belles étoiles

Anne Baxter, Bette Davis, Marilyn Monroe et George Sanders dans « Eve », de Joseph L. Mankiewicz. / THÉÂTRE DU TEMPLE

Gene Tierney, Bette Davis, Danielle Darrieux, Elizabeth Taylor : Joseph L. Mankiewicz a porté chacune de ces actrices au zénith. Mais on peut aussi psalmodier les noms de Kirk Douglas, Marlon Brando, Henry Fonda, Christopher Reeve. Comme aucun autre metteur en scène de l’âge d’or hollywoodien, Mankiewicz a su mettre le star-système au service de son art.

La rétrospective des films qu’il a réalisés (avant ses débuts, avec Le Château du dragon, en 1946, il en avait écrit quelques dizaines d’autres) offre une série de délices qui vont du chef-d’œuvre (Chaînes conjugales, Le Fantôme de Madame Muir, Eve…) à la tentative périlleuse qui évite de justesse – mais avec quel brio – le naufrage (Blanches Colombes et vilains messieurs offrait à Marlon Brando son premier rôle dans une comédie musicale, face à Frank Sinatra).

Qu’on choisisse de passer plus de trois heures en compagnie de Cléopâtre (film qui, en 1960, faillit mettre un terme à la carrière du cinéaste) ou juste une soirée exquise avec Bette Davis, Anne Baxter et Marilyn Monroe (Eve, sorti dix ans plus tôt), l’erreur est impossible. T. S.

Cycle Joseph L. Mankiewicz, du 20 juin au 17 juillet, Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris 12e.