Evelyne Richard gravit les marches du perron de l’Elysée et salue avec une pointe de nostalgie les journalistes qui patientent derrière un cordon. La septuagénaire est un fil tendu entre deux présidents de la République, deux époques distantes d’un demi-siècle : celle de Georges Pompidou, qu’elle a servie comme attachée de presse dès son élection, en 1969, et d’Emmanuel Macron, son dernier patron. Celui qu’elle a connu au moment de tirer sa révérence, en 2017.

En cette fin d’après-midi du mercredi 19 juin, « l’impératrice de l’Elysée », comme l’appelaient certains rédacteurs, est venue écouter le chef de l’Etat rendre hommage à son lointain prédécesseur, à l’occasion du cinquantenaire de son élection. M. Macron devait d’abord s’exprimer en ouverture d’un colloque organisé, le lendemain, par l’institut Georges-Pompidou. Mais c’était sans compter les obligations du Conseil européen, qui se réunit au même moment à Bruxelles. Le président de la République a donc invité les protagonistes du colloque à boire une coupe de champagne sous la verrière de la salle des fêtes de l’Elysée.

Alain Pompidou, le fils du défunt président, est là, tout comme l’historien Eric Roussel, auteur d’une biographie de référence sur le natif de Montboudif (Cantal). Les journalistes Michèle Cotta et Patrice Duhamel, deux témoins de l’époque, ont aussi fait le déplacement.

Marronnier du « c’était mieux avant »

« Je ne pouvais pas laisser sans rendez-vous cette occasion », souffle Emmanuel Macron au début de son discours. Il eut été dommage, en effet, de ne pas saisir l’opportunité de célébrer un homme qui aurait eu sa place parmi les mythologies de Roland Barthes. De ne pas chercher à placer ses pas dans ceux du gaulliste, à l’heure où son électorat se déporte de plus en plus à droite.

Symbole de la réussite industrielle de la France des « trente glorieuses », Georges Pompidou incarne avec le recul « une France nouvelle », « heureuse » dans sa « capacité à embrasser la modernité », estime M. Macron, « à prendre ses risques ». Celle du plein-emploi, de la fusée Ariane, de la DS, de l’art contemporain, du premier ministère de l’environnement. Celle que l’on retrouve aujourd’hui en couverture d’hebdomadaires, qui ont fait de la figure du successeur du général de Gaulle une sorte de marronnier du « c’était mieux avant ».

La case de la modernité étant déjà cochée pour Emmanuel Macron – promoteur revendiqué de la « start up nation », élu président de la République à 39 ans –, il convenait de rendre aussi hommage à Pompidou le conservateur, l’Auvergnat. Ou plutôt l’« enraciné », pour reprendre l’expression du chef de l’Etat, qui emprunte ici au vocabulaire de la droite. « L’enfant du Cantal ne reniera jamais ce qui était la vieille France », rappelle M. Macron, à savoir un « mélange de fierté, de bonhomie, de tolérance ».

« L’art d’être Français »

Mieux, avec ses sourcils broussailleux et ses joues pleines, Georges Pompidou « avait une tête de Français », estime Emmanuel Macron : « Il incarnait la France ». Jusque dans ses « permanences », donc, mais tout en répondant aux « défis de l’avenir ». « Il pensait à la fois vieille France et nouvelle France », martèle le chef de l’Etat, dans une tentative apparente de réconciliation entre « ancien » et « nouveau monde ».

A l’automne 2017, un autre amoureux de Georges Pompidou, le désormais ex-président du parti Les Républicains, Laurent Wauquiez, croyait distinguer chez Emmanuel Macron une absence d’« amour charnel pour la France », une « haine de la province ». Cette image de « golden-boy de la mondialisation », le locataire de l’Elysée cherche à s’en défaire, en particulier depuis la crise des « gilets jaunes ». Il met donc en avant son amour des répliques truculentes à la Jacques Audiard ; vante « l’art d’être Français ».

En la matière, le gaulliste Pompidou serait un maître pour le héraut revendiqué du progressisme. « Les leçons qu’il a livrées doivent encore nous inspirer », reconnaît Emmanuel Macron.