Lors de l’édition 2011 du Festival de musiques gnaoua à Essaouira, deux membres du groupe marocain Mâalem Kbiber et malien Baba Sissoko. / ABDELHAK SENNA / AFP

Comme chaque année, Essaouira se prépare à ne pas dormir pendant trois jours. Du 20 au 22 juin, la « cité des alizés », petite ville fortifiée sur le littoral atlantique marocain, va vibrer au rythme des fusions entre la musique traditionnelle gnaoua et des sonorités venues d’ailleurs. Tel est l’esprit du festival qui va sortir l’ancienne Mogador, située à 170 km à l’ouest de Marrakech, de sa traditionnelle quiétude.

La manifestation a été créée en 1998 afin de célébrer la musique des descendants d’esclaves emmenés au Maghreb lors de la traite arabe en Afrique subsaharienne entre les VIIIe et XIXsiècles. Une musique à la fois mélancolique et dansante portée par les envolées lyriques des mâalems, grands maîtres du genre et virtuoses du guembri, une sorte de luth à trois cordes. Longtemps marginalisés, ces rythmes aux vertus dites thérapeutiques ont été si bien réhabilités que le festival gnaoua est devenu un rendez-vous international couru. Entre 300 000 et 400 000 spectateurs s’y pressent le temps d’un week-end, de même qu’une belle brochette d’artistes de renommée mondiale.

Rites sacrés d’Afrique

« Notre travail est fondé sur des valeurs de respect d’un héritage bien spécifique, de solidarité et de défense de la dignité humaine. La tradition des gnaouas met en lumière un récit commun entre les peuples d’Afrique et sa diaspora », souligne Neïla Tazi Abdi, productrice de l’événement – et par ailleurs présidente de la Fédération marocaine des industries culturelles et créatives – pour expliquer la longévité et la réputation du festival.

Pour cette 22e édition, la programmation annonce une quarantaine de concerts : des plus grandes scènes, sur la plage ou sur la place Moulay-Hassan, principal croisement au cœur de la médina édifiée au XVIe siècle, à des sessions beaucoup plus intimistes dans les zaouias, où se pratiquent les rituels ésotériques. L’affiche d’ouverture, jeudi 20 juin au soir, doit réunir le charismatique mâalem Hassan Boussou et Osain del Monte, un groupe de musiques afro-cubaines dirigé par le percussionniste Adonis Calderon.

Asma El Hamzaoui, la musique gnaoua au féminin
Durée : 01:38

Après avoir été propulsé à la tête de la confrérie de son père H’mida, figure légendaire de l’art de la tagnaouite décédée en 2007, Hassan Boussou s’est installé à Lille, où il a multiplié des collaborations remarquées avec des musiciens français comme le jazzman Michel Alibo ou le violoniste Didier Lockwood. Quant au groupe Osain del Monte, depuis sa création en 2012, à La Havane, il invente sa musique en puisant obstinément dans l’héritage et les rites sacrés venus d’Afrique. Ses spectacles à l’ambiance souvent survoltée suscitent l’admiration des Rolling Stones et d’une certaine Madonna. « Une opportunité supplémentaire de vulgariser et de moderniser notre musique, notre culture, sans lui faire perdre son âme », se réjouit le mâalem Hassan Boussou.

Tout au long du festival, le son du guembri se mêlera au flamenco, au reggae, à la salsa, à la rumba ou encore aux rythmes touareg ou tamoul. Parmi les nombreuses fusions annoncées figure un duo entre la chanteuse soul britannique d’origine indienne Susheela Raman et Mâalem Hamid El Kasri, descendant d’un ancien esclave soudanais. Son confrère Mustapha Baqbou, lui, partagera la scène avec le groupe des nomades touaregs maliens de Tinariwen. Mâalem Mustapha Baqbou est connu pour avoir collaboré avec Louis Bertignac, cofondateur du groupe de rock Téléphone, le Mexicain Carlos Santana, guitariste prolifique mondialement connu, ou encore avec le bassiste Marcus Miller.

« Jusqu’à la transe »

Ces différentes affiches, alléchantes, n’ont pourtant rien d’évident. Sur scène, les artistes, en plus d’avoir à déployer un excellent sens de l’improvisation, doivent réussir à fusionner des genres musicaux parfois éloignés. « On arrive toujours à trouver des points d’accroche entre le gnaoua, la rumba, le gospel, la santeria, le flamenco, le reggae ou les musiques yoruba, veut rassurer le musicien franco-algérien Karim Ziad, codirecteur artistique du festival. Entre ces rythmes, il s’agit soit de la même histoire liée à l’esclavage, soit des mêmes rituels pouvant mener jusqu’à la transe, soit encore d’une même méthode d’initiation au sein de confréries. »

Karim Ziad ne cache cependant pas une certaine anxiété : cette édition se tient alors que va être examiné, en décembre, le dossier d’inscription de la musique gnaoua au patrimoine oral et immatériel de l’Unesco, comme l’a été le reggae en 2018. En attendant, son binôme, Mâalem Abdeslam Alikane, met un point d’honneur à réussir l’organisation de la traditionnelle parade des différentes confréries à travers les ruelles de la vieille ville d’Essaouira. Un défilé carnavalesque qui, chaque année, donne le ton des festivités.