Phil Neville, le 13 juin, au Havre. / PHIL NOBLE / REUTERS

Le poing rageur, Philip Neville saute, tel un cabri, au bord de la pelouse de l’Allianz Riviera de Nice. Au milieu des membres extatiques de son staff, le sélectionneur anglais célèbre sans retenue le premier des deux buts inscrits par l’attaquante Ellen White face au Japon. Mercredi 19 juin, le très expansif coach des « Three Lionesses » a réussi son pari : ses joueuses ont décroché face aux Nipponnes une troisième victoire (2-0) de rang, après celles acquises contre l’Ecosse et l’Argentine, et terminent en tête de leur poule.

Elles peuvent se tourner avec optimisme vers les huitièmes de finale de la Coupe du monde, dimanche 23 juin, à Valenciennes contre une nation encore à déterminer (la Chine, la Nouvelle-Zélande ou le Cameroun). En France, la feuille de route minimale assignée par la Fédération anglaise (FA) à « Phil » Neville, 42 ans, est limpide : faire au moins aussi bien que lors de la précédente édition du Mondial, au Canada, en 2015, au terme de laquelle les coéquipières de la capitaine Steph Houghton ont terminé à la troisième place. Une performance historique pour les Three Lionesses, désormais bien installées dans le gotha du football féminin.

« Nous sommes aujourd’hui exactement là où l’on souhaitait être avant cette Coupe du monde. On est prêt pour la suite du tournoi », s’est enthousiasmé Phil Neville après la victoire contre le Japon. Gilet bleu assorti à son pantalon et cravate rayée : sa tenue vestimentaire ne doit rien au hasard. L’ancien défenseur international des Red Devils (1995-2005) et d’Everton (2005-2013) soigne son image et s’habille exactement comme Gareth Southgate, son homologue chez les « Three Lions », demi-finaliste du Mondial 2018 en Russie, et ancien coéquipier en sélection.

Un CV peu étoffé

A le voir donner calmement ses consignes et applaudir ses joueuses pour un tacle réussi ou un centre précis, on se dit que Phil Nevil règne en patron bienveillant et respecté. Le frère cadet de l’ex-arrière droit Gary Neville et représentant de la génération dorée (avec les David Beckham, Nicky Butt, Paul Scholes) lancée à Manchester United, dans les années 1990, par Sir Alex Ferguson, partait pourtant de loin lors de son intronisation, en janvier 2018.

Sans avoir brigué la succession de l’emblématique Mark Sampson, limogé pour des relations « inappropriées » avec des joueuses dans l’un de ses ex-clubs, l’ancien défenseur a été nommé par la FA alors que son CV était peu étoffé. Son expérience de manageur se résumait à quelques mois passés à Valence (2015-2016), comme adjoint de son frère Gary, et à un passage sur le banc de Salford City, équipe de 7e division anglaise.

Des tweets jugés misogynes

En matière de football féminin, le natif de Bury, dans les faubourgs industriels de Manchester, passait pour un parfait profane. Pis, au lendemain de sa désignation, l’exhumation de tweets jugés misogynes a provoqué l’ire de nombreuses supportrices anglaises. L’intéressé a été contraint de supprimer son compte Twitter et de s’excuser : « Ces tweets ne reflètent pas avec exactitude ni ma personnalité ni mes convictions. »

« Toutes ces personnes qui disaient que je n’y connaissais rien au foot féminin, elles ont été mon moteur. Merci pour ça », a depuis ironisé Phil Neville dans les colonnes du Guardian. Dix-huit mois après son arrivée controversée aux commandes des Three Lionesses, force est de constater que le « nice guy » s’est mis son effectif et le public dans la poche en jouant la carte de l’humilité.

L’ancien défenseur (59 apparitions sous le maillot anglais), qui garde « un goût d’inachevé » de sa carrière sur les pelouses après avoir manqué trois Coupes du monde, a notamment changé le style de jeu de son équipe, plus technique et spectaculaire que sous l’ère Mark Sampson, et obtenu des résultats probants dans le cadre des éliminatoires au Mondial 2019.

Sa méthode de management, très inclusive et jouant sur l’affect, est unanimement saluée par son effectif. Ouvert au débat, il a poussé ses cadres à donner leur opinion sur son coaching. Selon le New York Times, il écrit à ses joueuses après leurs matchs en club et chausse les crampons pour participer aux exercices collectifs à l’entraînement. En bon supporteur de Manchester United, ce pince-sans-rire aime railler ses protégées qui évoluent sous les couleurs du frère ennemi de City.

Très empathique, il couve ses joueuses qui traversent des zones de turbulences sur le plan familial, comme sa capitaine Steph Houghton, dont le mari suit un traitement lourd pour une maladie neuronale. « On est comme une famille », a déclaré le sélectionneur avant l’entrée en lice de son équipe contre l’Ecosse.

« Pas toujours simple pour un entraîneur masculin »

Après le limogeage de son prédécesseur, la FA l’a contraint à suivre un protocole très strict dans ses relations avec ses joueuses : il est toujours accompagné d’un membre de son staff lors des entretiens individuels, n’est pas autorisé à rester dans le vestiaire.

Au coup de sifflet final contre le Japon, les spectateurs niçois ont pu voir le sélectionneur réunir ses troupes afin de les féliciter et leur donner des éléments de langage avant leur passage en zone mixte, l’espace dévolu aux échanges entre les joueuses et les journalistes. « De toute façon, ce n’est pas toujours simple pour un entraîneur masculin d’entrer dans un vestiaire de filles, donc je profite de ce moment pour faire passer mes messages », a-t-il précisé.

Sa sœur jumelle Tracey, ancienne « star » de netball (un dérivé du basket), et sélectionneuse de l’équipe féminine anglaise de ce sport depuis 2015, lui a notamment conseillé « de traiter ses joueuses comme il traiterait des hommes. » « Si nous ne répondons pas à ses attentes, il nous le dit toujours », insiste Steph Houghton.

En plein état de grâce, Phil Neville rêve désormais de hisser à nouveau l’Angleterre sur le podium mondial.