LA LISTE DE LA MATINALE

A l’occasion de la 15édition du Marathon des mots, le festival international de littérature de la métropole toulousaine (du 25 au 30 juin), qui met l’Amérique à l’honneur cette année, six conseils de lecture venue de l’Ouest.

NOUVELLES. « Viens voir dans l’Ouest », de Maxim Loskutoff

S’il est des recueils de nouvelles dans lesquels le lecteur peut grappiller les textes à sa guise et dans le désordre, Viens voir dans l’Ouest gagne au contraire à être lu comme un roman, dont chacun des douze récits constituerait un nouveau chapitre.

Réinventant un Ouest américain fictif, au bord de la guerre civile, Maxim Loskutoff donne à voir, en écho, un tableau aussi glaçant qu’attachant de la société américaine d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse d’un trappeur tombant amoureux de l’ourse venue manger les pommes de son jardin, ou d’une mère de famille qui cherche à protéger ses enfants une fois son mari parti auprès des rebelles, les Américains qu’il décrit sont tous, par-delà leur bizarrerie, confrontés à l’effondrement de leurs idéaux.

Ecrites, pour la plupart, à la première personne, les nouvelles du jeune écrivain, élève de David Foster Wallace, nous placent au plus près des pensées troublées de ses personnages. Pour mieux nous laisser éprouver la façon dont le politique et l’intime se rencontrent, sans que l’on sache lequel agit le plus sur l’autre. Florence Bouchy

« Viens voir dans l’Ouest »  (Come West and See), de Maxim Loskutoff, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, Albin Michel, « Terres d’Amérique », 272 p., 22 €.

« Viens voir dans l’Ouest », de Maxim Loskutoff, « Albin Michel », 272 p., 14,99 €.

ROMAN. « Les Habits du plongeur abandonnés sur le rivage », de Vendela Vida

Figure de l’avant-garde intellectuelle et littéraire de la Côte ouest des Etats-Unis, Vendela Vida propose, avec Les Habits du plongeur abandonnés sur le rivage, un roman d’apparence classique. Il se lit d’une traite tant l’écrivaine y mêle élégamment suspense, cocasserie et réflexion psychologique.

Mais cet apparent équilibre est un leurre, et le roman se révèle à double ou triple fond. Ecrite à la deuxième personne, comme si la narratrice, extérieure à elle-même, s’observait pour apprendre à se connaître, l’histoire de cette touriste américaine en voyage à Casablanca (Maroc), dépouillée de ses effets personnels et de ses papiers d’identité, se transforme en une quête existentielle qui ne dit jamais son nom.

Faisant de nécessité vertu, la jeune femme explore les possibles que lui offre l’incognito. En se délestant de ce qui la définissait trop étroitement, elle se réinvente à chaque rencontre et trouve qui elle est en échappant à toutes les assignations. F. By

« Les Habits du plongeur abandonnés sur le rivage »  (The Diver’s Clothes Lie Empty), de Vendela Vida, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Adèle Carasso, Albin Michel, « Terres d’Amérique », 256 p., 21, 50 €.

« Les Habits du plongeur abandonnés sur le rivage », de Vendela Vida, « Albin Michel », 256 p., 21,50 €.

ROMAN. « On dirait que je suis morte », de Jen Beagin

Mona, 23 ans, gagne sa vie comme femme de ménage. Exilée depuis le divorce de ses parents dans un quartier sordide de Lowell (Massachusetts), loin de sa Californie natale, l’ancienne enfant prodige a renoncé à toute ambition et traîne son mal-être existentiel. Sa rencontre avec « le Dégoûtant », un toxicomane, par ailleurs grand lecteur, va la décider à partir pour Taos (Nouveau-Mexique), eldorado pour artistes en devenir et néoaventuriers en tout genre.

Dans ce premier roman, Jen Beagin brosse tout en délicatesse les portraits de marginaux, d’attachants doux dingues avec leurs trajectoires bringuebalantes et leurs utopies en bandoulière. A travers eux, ce roman piquant, nourri de dialogues aussi drôles que désespérés, exorcise avec pudeur les fêlures et traumatismes pour partie hérités de l’enfance : addictions, violence familiale, abus sexuels…

Avec cette panoplie de solitudes mises bout à bout, la romancière livre ici une touchante et cocasse histoire de résilience. Ariane Singer

« On dirait que je suis morte » (Pretend I’m Dead), de Jen Beagin, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, Buchet-Chastel, 276 p., 20 €.

« On dirait que je suis morte », de Jen Beagin, « Buchet Chastel », 288 p., 20 €.

ROMAN. « Cotton County », d’Eleanor Henderson

Grande fresque historique, dans la tradition des romans sudistes, le deuxième livre d’Eleanor Henderson est un texte ambitieux, qui n’hésite pas à alterner les points de vue et à multiplier les flash-back. Cotton County est sans doute un peu touffu, les paysages et les personnages tendent souvent vers le pittoresque. Mais, dans cette ville qui ressemble à « une enclume », entourée de « plantations à perte de vue, de pâles hectares de sorgho, de coton, d’arachides et de maïs », les passions sont aussi violentes que la Grande Dépression traversée par l’Amérique des années 1930.

Dans une société où la question raciale régit les relations sociales, les jumeaux que met au monde la jeune Elma Jesup – l’un est blanc, l’autre est noir – confrontent chacun des membres de la communauté à ses plus violentes contradictions. « Lorsqu’on vous a fait du mal, comprend finalement l’un des personnages, il vous faut parfois faire du mal en retour à ceux que vous aimez, pour être capable de supporter l’amour que vous leur vouez. » F. By

« Cotton County » (The Twelve-Mile Straight), de Eleanor Henderson, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Amélie Juste-Thomas, Albin Michel, « Terres d’Amérique », 654 p., 23, 90 €.

« Cotton County », d’Eleanor Henderson, « Albin Michel », 656 p., 23,90 €.

RÉCIT. « Janesville, une histoire américaine », d’Amy Goldstein

L’arrêt de l’activité de l’usine General Motors, le 23 décembre 2008, à Janesville, a marqué un tournant historique pour cette petite ville du Wisconsin, majoritairement industrielle. Premier employeur local, le géant de l’automobile mettait fin à près d’un siècle de production locale.

A travers l’itinéraire d’une trentaine de personnes – ouvriers, banquiers, entrepreneurs, hommes politiques, assistante sociale… –, la journaliste Amy Goldstein explore les conséquences dévastatrices de cette décision qui affecta les 2 600 salariés de l’entreprise, ainsi que ses nombreux sous-traitants. Chômage, nécessité de se reconvertir, difficultés financières, fragilisation des familles, exil forcé…

Ce récit très documenté, qui plonge pendant cinq ans au plus près de la vie de chacun des protagonistes, est l’histoire passionnante d’une quête éperdue de survie, tant individuelle que collective. L’histoire aussi de toute une communauté, celle de Janesville, aussi fière de son illustre passé que déterminée à s’inventer un avenir. Ar. S.

« Janesville. Une histoire américaine » (Janesville. An American Story), d’Amy Goldstein, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Aurélie Tronchet, Christian Bourgois, 330 p., 23 €.

« Janesville, une histoire américaine », d’Amy Goldstein, « Christian Bourgeois », 334 p., 23 €.

RÉCIT. « Boy Erased », de Garrard Conley

En 2013, Exodus International annonçait sa dissolution. L’organisme protestant et évangélique reconnaissait qu’il n’existait pas de traitement contre l’homosexualité et que la thérapie « réparatrice » qui lui a rapporté des millions de dollars avait des effets nocifs.

Garrard Conley en a fait les frais très jeune, quand ses parents ont appris son homosexualité. Ce fils de pasteur a été envoyé à Love in Action, un « camp de réorientation » géré par Exodus International, séjour qu’il relate dans Boy Erased.

On y découvre les cours où les jeunes doivent écrire leur « génogramme » (qui parmi leurs ancêtres fut un alcoolique, une divorcée, un joueur ?) et leur « inventaire moral ». « Devenir une coquille vide, facile à modeler, un réceptacle de Dieu », voilà ce qu’on attend d’eux.

Boy Erased est aussi l’histoire d’une enfance au cœur de la « Bible Belt » – le Sud des chrétiens fondamentalistes –, sous la chape de la religion et dans la peur de ne pas correspondre à un certain idéal de virilité. Adapté au cinéma par l’Australien Joel Edgerton, voici un témoignage nécessaire, d’une lucidité et d’une violence inouïes. Gladys Marivat

« Boy Erased » (Boy Erased. A Memoir of Identity, Faith and Family), de Garrard Conley, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Baptiste Bernet, Autrement, 384 p., 21,90 €.

« Boy Erased », de Garrard Conley, « Autrement », 384 p., 21,90 €.