Selon les autorités burkinabées, plus de 1 500 personnes déplacées par des violences dans le nord du pays sont arrivées à Ouagadougou depuis le 7 juin 2019. / Sophie Douce

Des baluchons poussiéreux, des marmites vides et quelques nattes s’entassent désormais dans la cour de l’école. Et dans les petites classes, un étrange silence a remplacé le chahut des enfants et la voix des professeurs. « Ça fait dix jours que l’on vit ici, on cuisine là et on dort à côté par terre, il n’y a pas assez de place dans les salles », indique en langue moré Zacharia Ouedraogo*, en montrant un petit terrain de sable ocre, transformé en dortoir à ciel ouvert. Comme lui, 220 déplacés originaires du village de Silgadji, dans le nord du Burkina Faso, ont trouvé refuge sur la parcelle de cet établissement, vide en ce début de vacances scolaires, situé à Pazani, un quartier périphérique de la capitale. « On a fui pour échapper à la mort », explique ce père de cinq enfants, qui a dû parcourir plus de 200 km à l’arrière d’un camion de marchandises avec sa famille pour rejoindre Ouagadougou. Il y a trois semaines environ, douze personnes de son village ont été exécutées par des « hommes enturbannés et armés de kalachnikovs ». Pour ce rescapé, c’était l’attaque de « trop ».

Depuis le 7 juin, selon les chiffres des autorités locales, plus de 1 500 personnes en provenance du nord du Burkina ont investi des écoles, des mosquées et des terrains vagues de cet arrondissement de Ouagadougou, où les zones dites « non loties » sont nombreuses. « C’est la première fois qu’on assiste à une arrivée massive de déplacés dans la capitale, on essaie de s’organiser comme on peut, des voisins donnent quelques vivres, mais on est dépassés, c’est à l’Etat de gérer ce problème », souligne Amadé Savadogo, adjoint au maire de l’arrondissement 9. Et la situation risque de s’aggraver : selon nos informations, de nouveaux convois continueraient à arriver sous l’effet des violences. Après une nouvelle attaque terroriste à quelques kilomètres de Silgadji qui a fait 17 morts mardi 18 juin. Depuis, le village se serait vidé et les derniers rescapés auraient pris la fuite vers d’autres localités.

Climat de terreur

Zacharia Ouedraogo raconte la peur qui s’est installée à Silgadji. « Les terroristes sont arrivés pour la première fois il y a trois mois à Silgadji, témoigne, encore hébété, l’ancien orpailleur. Ils ont d’abord tiré en l’air au marché, brûlé des motos et exigé la fermeture des débits de boisson, puis ils sont revenus plusieurs fois pour tuer des habitants, et, le 12 mai, ils ont attaqué l’église protestante. » Ce dimanche-là, six fidèles, dont un pasteur, ont été tués en pleine messe par un groupe d’assaillants. Ces derniers auraient ensuite menacé de tuer ceux qui préviendraient la police ou la gendarmerie, selon ce témoin.

Dans ce climat de terreur, les agents de l’administration, les enseignants et les médecins auraient tous fui le village. « Nous vivions dans la peur, nous étions livrés à nous-même là-bas, les enfants ne pouvaient même plus aller à l’école », se désole Zacharia. « Les djihadistes venaient prêcher chez nous. Une fois, ils ont rassemblé tous les habitants, environ 200 personnes, et ont menacé de couper la tête de ceux qui ne respecteraient pas les règles du Coran », ajoute un jeune homme, assis sur une natte à l’ombre d’un grand cédrat, en touchant ses pieds endoloris par son long périple.

Lui vient tout juste d’arriver après sept jours de marche, à sillonner la moitié du pays sur des pistes en terre et sous un soleil de plomb, pour rejoindre la capitale avec son bétail. « La route a été très difficile et éprouvante, les terroristes ne voulaient pas nous laisser passer à la sortie de Silgadji, mais on a réussi à leur échapper », raconte cet ancien cultivateur, avant de lâcher en soupirant : « Et maintenant comment allons-nous faire ici ? »

Selon les autorités burkinabées, plus de 1 500 personnes déplacées par des violences dans le nord du pays sont arrivées à Ouagadougou depuis le 7 juin 2019. Ces réfugiés de l’intérieur s’installent où ils peuvent, notamment dans les écoles. / Sophie Douce

Sur ce camp de fortune, entouré de cases en terre cuite délabrées et de constructions en ciment inachevées, beaucoup se posent la même question. « On avait un métier, une maison et des terres là-bas, nous étions des cultivateurs et des commerçants, je ne sais pas quel travail on va pouvoir faire ici, la vie dans la capitale est difficile », souligne, fatigué, un vieil homme portant une barbe blanche et un long boubou vert. « Il nous manque des nattes pour dormir par terre, des moustiquaires et des médicaments, des enfants sont malades et on n’a rien pour les soigner », pointe une jeune femme de 20 ans, en donnant le sein à son bébé de 1 an. « On est inquiet pour notre avenir, mais pas question de retourner là-bas. Les terroristes vont nous tuer sinon », prévient-elle, terrorisée par « ces hommes armés » venus plusieurs fois « battre » ses voisines et « violer » dans d’autres hameaux. « On rentrera seulement quand la paix reviendra, et ça prendra du temps, on le sait », affirme un autre.

« Notre quartier souffre déjà »

Rester ? Le sujet est sensible. Si les autorités ont commencé à distribuer des repas et de l’eau sur la dizaine de camps de déplacés que compte désormais l’arrondissement 9 de la capitale, la question d’une installation de longue durée fait tiquer certains. « Nous ne pourrons pas soutenir une telle charge longtemps, notre quartier souffre déjà assez », explique-t-on à la mairie. « Pour l’instant les propriétaires des lieux tolèrent les déplacés, mais à la rentrée des classes, par exemple, ou à la longue, cela risque de poser problème », s’inquiète un autre fonctionnaire qui ajoute : « Sur le terrain, des agents de l’Etat tentent de les convaincre de migrer vers d’autres sites d’accueil dans la région du centre-nord. »

Tous tentent d’échapper aux attaques qui se sont multipliées au nord, à l’est et au centre-nord du Burkina Faso ces derniers mois. Assassinats ciblés, attaques contre des lieux de culte chrétiens et représailles intercommunautaires : les groupes armés n’épargnent plus les civils désormais. Le nombre de déplacés ne cesse d’augmenter : 170 000 personnes ont déjà fui leur foyer, plus de la moitié depuis le début de l’année, selon les estimations du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA). Le 10 juin, le ministre de l’administration territoriale burkinabé Siméon Sawadogo, qui s’est rendu sur place, a promis d’aider à la prise en charge des déplacés de la capitale.

*Le nom a été changé