L’EPR de Flamanville (Manche), le 2 février 2018. / CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Editorial du « Monde ». La décision de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de demander à EDF des travaux complémentaires – la réparation de huit soudures défectueuses – sur le chantier de l’EPR de Flamanville (Manche) est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour la filière nucléaire française. Incontestablement, elle met en difficulté EDF, obère la capacité à développer de nouveaux réacteurs en France et rend improbable l’exportation de l’EPR à brève échéance.

Mais elle revêt également une dimension positive : elle témoigne de la haute qualité du travail réalisé par l’ASN pour garantir la sûreté des installations nucléaires en même temps que de son indépendance.

La France a souvent tendance à douter de la réalité de ses contre-pouvoirs, volontiers considérés comme faibles, coûteux et sans réelle efficacité. L’ASN a longtemps été la cible de cette critique. On lui a reproché d’être trop proche de l’industrie nucléaire, dans une consanguinité que les associations écologistes ont dénoncée à de nombreuses reprises par le passé. En acceptant de prendre, en novembre 2018, le poste de président de l’ASN dans un tel contexte, Bernard Doroszczuk savait qu’il aurait à faire des arbitrages compliqués et qu’il serait soumis à une pression maximale.

Une autorité essentielle

Il fait ici la démonstration de sa rigueur : sa décision de demander de nouveaux travaux à Flamanville ne convient ni à EDF, ni aux différentes entreprises de la filière nucléaire, ni même au gouvernement. Elle a des conséquences potentiellement désastreuses pour un secteur qui se trouve déjà fragilisé.

Mais elle illustre le caractère souverain d’une autorité essentielle pour le fonctionnement démocratique. Dans d’autres pays, comme aux Etats-Unis, d’anciens régulateurs du nucléaire ont mis en lumière leur difficulté à conserver leurs distances avec cette industrie et à prendre des décisions qui assurent le respect des règles de sûreté. Au Japon, l’absence de transparence et d’indépendance de l’autorité de sûreté, pendant la catastrophe de Fukushima de mars 2011, a contribué à aggraver la situation.

L’ASN est certainement l’une des autorités les plus sévères au monde. Son fonctionnement fait du reste référence parmi ses homologues étrangers. Pour prendre sa décision sur l’EPR de Flamanville, elle a réuni des dizaines d’experts français et internationaux, a consulté les spécialistes de la filière aussi bien que les opposants au nucléaire. Elle ne s’est pas contentée d’une position de compromis avec l’industrie, dont le risque aurait été de susciter dans l’opinion publique des craintes renouvelées vis-à-vis du nucléaire civil. D’une certaine façon, elle a au contraire montré que la « maison nucléaire » était bien gardée.

En annonçant sa décision, le gendarme du nucléaire a souligné qu’à ses yeux ni la conception de l’EPR ni ses « avancées indiscutables » en matière de sûreté, par rapport aux réacteurs des précédentes générations, n’étaient en cause. Il a plutôt appelé les industriels à « se mobiliser » pour retrouver une expertise et des compétences émoussées par l’absence de grand chantier nucléaire depuis vingt ans.

Cette ferme manifestation d’indépendance entraînera-t-elle des retards et des surcoûts supplémentaires pour l’EPR de Flamanville ? Assurément. Est-ce une catastrophe pour EDF ? A court terme, il est difficile de ne pas s’en alarmer. Mais la confiance est essentielle – et elle se paie parfois à un prix élevé.