La manifestation à Prague, dimanche 23 juin, a rassemblé près de 250 000 personnes selon les organisateurs. / MICHAL CIZEK / AFP

C’est la plus importante manifestation en République Tchèque depuis la chute du communisme en 1989. Selon les organisateurs, près de 250 000 personnes se sont rassemblées, dimanche 23 juin à Prague, pour réclamer la démission du premier ministre Andrej Babis soupçonné notamment de fraude aux subventions européenne. Ils étaient déjà plus de 100 000 personnes à manifester le 4 juin sur l’emblématique place Venceslas de Prague.

« A en juger d’après les photos aériennes, il semble que nous sommes environ 250 000 ici. On verra combien de monde va encore arriver », a annoncé au début de la manifestation Mikulas Minar, le chef de l’ONG Million de moments pour la démocratie, à l’origine du rassemblement. Les protestataires ont symboliquement envahi l’esplanade de Letna, lieu mémorable des manifestations géantes contre l’ex-régime totalitaire en 1989. « Babis, démission ! », « J’ai honte de mon premier ministre ! », « Nous en avons assez ! », pouvait-on lire sur les banderoles des manifestants.

En décembre 2018, Le Monde avait révélé une note confidentielle des services juridiques de la Commission européenne concluant qu’Andrej Babis « apparaît comme le seul bénéficiaire » de trusts dans lesquels ont été placées en 2017 ses parts dans deux entreprises, Agrofert et d’Agrofert Group. Cette dernière entreprise possède elle-même des participations dans 200 à 300 sociétés opérant dans les secteurs agricoles, agroalimentaires ou chimiques.

« Conflit d’intérêts »

La conclusion des services de la Commission établissait qu’« en tant que bénéficiaire de deux trusts », M. Babis avait « un intérêt dans le succès économique d’Agrofert et d’Agrofert Group » et que « l’exercice impartial et objectif » de ses fonctions de premier ministre dans ce pays membre de l’UE depuis 2004 s’en trouvait « compromis ». En clair : M. Babis, qui gouverne une coalition minoritaire avec les sociaux-démocrates grâce au soutien parlementaire des communistes, est en position de contrevenir à la loi européenne. Le service juridique relève par ailleurs un autre fait qui pourrait « aussi être qualifié de conflit d’intérêts » : la femme de M. Babis, Monika Babisova, a également des intérêts financiers dans la société Agrofert et le groupe Agrofert.

Bruxelles réclame au chef de l’exécutif tchèque le remboursement de 17,4 millions d’euros de subventions européennes. Mais M. Babis rejette catégoriquement toutes les critiques à son égard. « Cet audit est une attaque contre la République Tchèque », a-t-il notamment déclaré devant les députés qui débattaient de sa légitimité à représenter ce pays d’Europe centrale de 10,4 millions d’habitants dans le cadre des négociations pour le prochain budget européen.

Fin avril, une nouvelle ministre de la justice, Marie Benesova, a été nommée. Les protestataires la soupçonnent de protéger le chef du gouvernement contre d’éventuelles poursuites judiciaires. Son prédécesseur avait démissionné quelques jours seulement après une recommandation émise par la police de mettre en accusation Andrej Babis, par ailleurs soupçonné d’avoir artificiellement saucissonné, en 2007-2008, un projet hôtelier de son conglomérat dans l’unique but de bénéficier d’une aide européenne de 2 millions d’euros.