Annonce du recours à l’assistance vidéo (VAR) ors du match Australie - Italie, à Valenciennes le 9 juin. / PHIL NOBLE / REUTERS

« Elles ont l’impression d’être victimes d’une injustice terrible, mais non, la VAR a fait son boulot », proteste Christian Jeanpierre au commentaire d’Angleterre-Cameroun (3-0) sur TMC, en voyant, dimanche 23 juin, les joueuses africaines refuser de reprendre le match après l’annulation de leur but. Les larmes de la buteuse virtuelle, Ajara Nchout Njoya, ne pouvaient l’émouvoir : justice était rendue.

On n’avait à cet instant vu aucune image indiquant le motif, qui ne tarda pas à venir : c’est le hors-jeu du talon d’une attaquante – en train de revenir vers son camp, dans une position totalement excentrée – qui a valu à ce très beau but d’être annulé, privant les Camerounaises de la réduction du score. Pour dix ou vingt centimètres, la sanction est tombée.

Dix ou vingt centimètres, c’est aussi la mesure de l’écart du pied de la gardienne nigériane à sa ligne de but, qui a permis à Wendie Renard de retirer (et réussir) le penalty qu’elle venait de rater. Scénario qui avait déjà profité à l’Italie face à la Jamaïque. C’est encore au double décimètre que l’Angleterre bénéficia d’un penalty au détriment du Chili, ou que la Française Kadidiatou Diani se vit refuser un (superbe) but contre la Corée du Sud.

Logique binaire

« Mesurer au millimètre, ce n’est pas du foot », a déploré l’ancienne joueuse Lotta Schelin. Mais c’est la logique de l’arbitrage vidéo (VAR). Rétrécir l’arbitrage à des décisions binaires, à un processus administratif qui dissout l’esprit de la règle. Le hors-jeu a par exemple été conçu pour éviter que des attaquants ne campent devant le but, et il s’agirait de se demander si la position de l’attaquant lui octroie un quelconque avantage sur les défenseurs.

Durant des années, les télévisions nous ont accablés de « révélateurs » en faisant d’infimes positions illicites des drames établissant l’absolue nécessité de l’arbitrage vidéo… Dans ce genre, la dérive la plus emblématique est celle de la sanction des fautes de main. D’Ivan Perisic en finale du Mondial jusqu’à Moussa Sissoko en finale de la Ligue des champions, on a constaté que la notion d’intentionnalité disparaissait, et que presque tout contact du ballon avec la main dans la surface était puni d’un penalty.

Surprise : les images, dont on a voulu croire qu’elles révéleraient une vérité indiscutable, sont d’une piètre utilité quand il s’agit d’interpréter (le caractère volontaire d’une main, le caractère illicite d’un tacle, etc.). Elles ont même tendance à brouiller la vision à coups de ralentis et d’images arrêtées.

La solution ? Réécrire les règles pour les adapter à la VAR, à l’image de l’International Board qui fait évoluer celle sur les fautes de main… Tant pis si la volonté de « simplifier » va de pair avec une application aveugle et l’abolition de tout discernement.

Double impasse

On se rend compte tardivement que si l’arbitrage vidéo semblait une panacée, c’est parce qu’on ne considérait que les situations limpides, pas toutes celles qu’il serait difficile de trancher. « Il ne faut aller voir le VAR que si l’arbitre se trompe », a-t-on lu sur Twitter, dans un joli mouvement d’humour involontaire.

La FIFA avait évité le pire lors de la Coupe du monde 2018. La Coupe du monde 2019 marque une inflation des interventions, près d’une trentaine en quarante matchs à ce jour. Autant de brutales chutes d’intensité durant les minutes que dure l’examen, au détriment du rythme des rencontres et de l’attention des spectateurs.

L’arbitrage vidéo suit sa pente naturelle : puisque les « erreurs » sont devenues intolérables – encore plus depuis que l’outil est en place –, la logique est d’y faire appel au moindre doute. La barrière qui devait limiter les interventions aux « erreurs manifestes » de l’arbitre central a été enfoncée. Et l’idée que celui-ci conserverait la main, démentie. Les arbitres vidéo ont pris le pouvoir et décident du sort des rencontres en tranchant des faits de jeu de la plus… arbitraire des façons.

Le football est pris au piège d’une double impasse. Trop de VAR tue la VAR, pas assez de VAR tue ses prétentions à rendre la justice. Et de quelle sorte de « justice » s’agit-il ? Pour quelques erreurs patentes corrigées (c’est bien le minimum), un lot croissant de décisions absurdes, incomprises ou contestées.

Le temps des désaveux

On annonçait une nouvelle dramaturgie, du suspense et des rebondissements, on assiste à un vaudeville ou au mauvais spectacle d’un magicien qui sort des décisions de son chapeau. Désaveu complet, aussi, pour la promesse qu’il y aurait moins de contestations, de polémiques et d’accusations de favoritisme.

Au bout d’une saison qui fut celle de la généralisation de l’arbitrage vidéo, la Coupe du monde 2019 sonne l’heure d’une prise de conscience douloureuse : impossible, désormais, de nier toutes les impasses auxquelles mène cette expérience. Une somme de problèmes dont les partisans de la vidéo n’avaient pas anticipé le dixième malgré leur caractère prévisible.

Pour l’heure, la FIFA maintient sa posture de déni, admettant à peine les plus exorbitants des problèmes soulevés – elle a ainsi été contrainte de suspendre l’application de la nouvelle règle sur la position des gardiens sur les penalties. Vendredi 21 juin, Pierluigi Collina, président du comité de l’arbitrage de la confédération, s’est dit « ravi que la VAR a si bien fonctionné jusqu’à présent ».

Acculés, les partisans de l’arbitrage vidéo se replient derrière une ligne de défense de plus en plus fragile : tout serait « la faute aux arbitres » et à la mauvaise utilisation d’un outil vertueux. Combien de temps leur faudra-t-il, cette fois-ci, pour comprendre que la VAR est dans le fruit ?