Dans un quartier populaire d’Alger, le 28 février 2019. / RYAD KRAMDI / AFP

Quand il sourit, ses dents cassées trahissent un peu son adolescence des rues. C’est maintenant du passé. Aujourd’hui, Juan a tourné la page et étudie à l’école de la nouvelle chance de la fondation El Llindar, à Barcelone. Là, cours après cours, jour après jour, il se construit un avenir, avançant pas à pas vers son rêve : devenir soudeur. Son voisin de bureau, lui, a été envoyé dans cette école par son collège, qu’il ne fréquentait plus vraiment.

Au pays des « décrocheurs », ces jeunes sans diplôme ni formation, les parcours ne se ressemblent que par le lot de douleur qu’ils charrient, la violence de se sentir hors circuit, de faire partie de la jeunesse perdue, celle que déjà la société n’attend plus. Juan et Miguel ont connu ça et savourent d’autant mieux leur « seconde chance ». « Vous avez dit seconde chance ?, relance Miguel. Non, ma première chance. » Comme si le système scolaire classique n’en avait pas été une.

Avec ses 39 écoles de la nouvelle chance, l’Espagne cherche des solutions pour ses NEET, les jeunes ni à l’école, ni en emploi, ni en formation (de l’anglais « not in education, employment or training »). Des invisibles passés à travers toutes les mailles des dispositifs d’aide. L’Espagne, où 13,8 % des garçons de 15 à 24 ans sont dans cette catégorie, selon le Bureau international du travail (BIT), n’est pas une exception. Ils sont 12 % en France, selon la même source, 9,2 % au Portugal, 20,2 % en Italie, 19,6 % en Egypte et 10,9 % en Algérie.

Ils ont décroché de l’école, puis de la recherche d’emploi, sur une zone, la Méditerranée, qui est, dans sa partie sud, la région de la planète où il est le plus difficile de trouver un emploi, selon le BIT. « Le taux de chômage des jeunes peut atteindre 30 % dans les pays de la région MENA [Moyen-Orient et Afrique du Nord] et de la rive nord », rappelle la Banque mondiale. Or, compte tenu de l’évolution démographique, 100 millions de jeunes seront sans emploi dans la zone MENA en 2050 si rien n’est fait, insiste l’institution. Autant que d’habitants en Egypte…

« Des effets négatifs durables »

En Espagne, en Italie ou en France, le manque d’intérêt pour une école qui a oublié de prendre le virage du XXIe siècle, conjugué aux problèmes sociaux, explique l’arrêt des études durant les années de collège. Ainsi, en Italie, 42 % des jeunes décrocheurs quittent le collège parce que « ça ne les intéresse pas », 19 % pour « raisons familiales » et 16 % « à cause de leur niveau » (source Eurostat). Un peu comme en Tunisie, où le BIT a observé que 31 % des hommes quittaient le système scolaire après avoir échoué à l’examen, 24 % par lassitude des études et 22 % pour des raisons financières.

Laisser cette jeunesse sans avenir ni espoir est explosif, et pas seulement à cause des 1,5 % de PIB qui partent en fumée. Comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) l’a souligné dès 2016, « commencer sa vie professionnelle par une période durable de relégation a des effets négatifs durables » sur la jeunesse.

Ce non-emploi ferait par ailleurs le lit des révolutions, si l’on en croit l’exemple de la Tunisie, où « de nombreux chercheurs soulignent l’importance des causes économiques et de la fatalité du chômage ressentie d’abord par les jeunes des gouvernorats de l’intérieur dans la révolution de 2011 », rappelle Astrid Desjobert dans un rapport sur l’insertion des jeunes réalisé en 2019 pour le réseau Méditerranée nouvelle chance (MedNC), un projet labellisé par l’Union pour la Méditerranée et que le Sommet des deux rives, réuni lundi 24 juin à Marseille, veut intégrer dans un plus vaste ensemble sur la jeunesse.

Un modèle français « inspirant »

Près de 26 000 jeunes sont en train d’être repêchés par ce dispositif dans une centaine de centres répartis dans neuf pays méditerranéens, suivant un modèle venu de France. Les écoles de la seconde chance y sont nées dès 2007, pour offrir un raccrochage aux 11 % de jeunes qui avaient quitté le système scolaire sans diplôme du secondaire. Aujourd’hui, 130 écoles de ce type sont réparties dans douze régions et ont déjà pris en charge 15 000 élèves. « Le réseau français a été très inspirant pour les autres pays », note Astrid Desjobert, responsable du réseau MedNC à l’Institut européen de coopération et de développement (IECD). Aujourd’hui, le réseau s’étend peu à peu, et le Sommet des deux rives pourrait lui donner un coup d’accélérateur.

Chaque pays a sa formule, même s’« il s’agit dans tous les cas d’inventer des formations, doublées de stages en entreprise, et d’offrir un accompagnement sur mesure » pour récupérer ces jeunes, rappelle Mme Desjobert. Ainsi, si l’Algérie a choisi de créer quatre écoles de vente Miftah Ennajah, financées par des entreprises, pour former aux métiers du commerce, la Tunisie, elle, a préféré installer des centres de repêchage dans six institutions universitaires. Le Portugal, l’Egypte et le Liban ont aussi leurs formules adaptées à leurs besoins. Toutes s’inscrivent dans le réseau transnational MedNC, illustrant combien les rives nord et sud partagent des soucis communs et peuvent avoir des besoins proches.

C’est ce type de projet que le Sommet des deux rives doit annoncer lundi. La rénovation du cœur des villes de la Méditerrannée, pour en faire des smart cities, et la transformation de la chaîne du froid en chaîne du vivant, pour alimenter ces zones urbaines de plus en plus nombreuses et denses, sont d’autres programmes sélectionnés par le sommet pour établir des ponts entre les deux rives.