Le roi Amon N’douffou V du royaume du Sanwi avec la photo de Michael Jackson lorsqu’il a été consacré prince Amalaman Anoh, le 14 février 1992. / Youenn Gourlay

Aux Etats-Unis, le test ADN est à la mode. Beaucoup moins cher que par le passé, il permet de retracer l’histoire de ses gènes et de mieux connaître ses racines. Quand Marcus Lorenzo Penn, un Afro-Américain vivant à San Francisco, a reçu ses résultats, il n’a pas été très surpris de voir qu’il était majoritairement originaire d’Afrique de l’Ouest : Bénin, Mali, Nigeria, mais aussi Côte d’Ivoire.

Le Californien a donc entrepris fin 2018 un voyage avec d’autres amis poètes, aux mêmes origines, dans plusieurs lieux symboliques de la sous-région dont la ville de Krindjabo, capitale du royaume du Sanwi, dans le sud-est ivoirien. « J’avais besoin de me reconnecter à mes racines, à cette culture. Et apprendre que Michael Jackson tient ses origines de cette région, ça a renforcé mon envie de venir. C’est le genre d’histoire que j’adore », précise-t-il.

En 1992, la star américaine est au sommet de sa gloire et décide de renouer avec ses ancêtres. Il réalise un test ADN et apprend qu’il vient précisément du royaume de Sanwi, lieu de vente puis de déportation des esclaves durant la colonisation française. Le 14 février de cette même année, il se rend donc à Krindjabo, la capitale du royaume. Héritier d’une famille princière, il est consacré prince Amalaman Anoh, en référence au roi du même nom, devant le krindja, l’immense cerisier emblématique planté à l’entrée du village.

« Un retour inouï »

« C’était un très beau moment, se souvient Olivier Kattie, porte-parole du roi. Tout le monde était très ému, lui-même a pleuré. Retrouver son origine comme ça, c’est une bénédiction, un retour inouï. » Si la cérémonie et les salutations au roi n’ont duré que trente à quarante minutes, le moment, très médiatisé, a définitivement placé le royaume sur la carte du monde. Dans le petit salon du roi, non loin d’une peau de guépard accrochée au mur et de quelques sceptres en or, la photo de Michael Jackson en tenue princière est fièrement affichée.

Certains Afro-Américains ont alors commencé à s’intéresser puis à se rendre à Krindjabo. Mais c’est le décès de « Michael », il y a tout juste dix ans, qui a relancé la notoriété du village. A Krindjabo, personne n’a oublié le 25 juin 2009. Ce jour-là, le chanteur de Thriller disparaissait dans un émoi international rare. En Côte d’Ivoire, plus que le roi de la pop, c’est un prince du royaume, un enfant du pays, qui s’en allait. Comme le veut la tradition, Amon N’douffou V, le roi du Sanwi, a demandé que le corps soit enterré sur ses terres d’origine.

Malgré le refus de l’ambassade américaine, le village a organisé des obsèques en son honneur, de manière symbolique, le soir même à minuit. « L’enterrement a eu lieu ici conformément à la tradition, retrace Olivier Kattie, porte-parole du roi, qui, lui, ne peut s’exprimer en public. Il y a eu une cérémonie princière, comme on enterre un prince de sa stature. Mais nous avons gardé sa tombe sacrée et secrète. »

« Réécrire l’histoire africaine »

Quelques jours plus tard, Jesse Jackson est venu se recueillir dans le village, aux côtés de cousins et cousines du chanteur américain. Le pasteur noir fut lui aussi intronisé prince en raison du lien qui l’unissait à la famille de la star. Blaise Nda, porte-canne du roi, était présent. « On a tous sympathisé ici, on a pris des photos ensemble », se rappelle-t-il, un cliché à la main pris devant la maison des ancêtres de Michael Jackson.

A Abidjan, une agence de voyage, Frih, s’est même spécialisée dans le tourisme mémoriel. Avec l’association Afro Centré City, elle propose des circuits touristiques autour de lieux marqués par l’histoire de l’esclavage comme Krindjabo. En huit ans, plus de 1 000 personnes auraient suivi ces parcours. C’est le cas d’Alain Tamo. Cet analyste américain de Philadelphie a fait le déplacement en mai. « Pour moi, le royaume du Sanwi est l’exemple de ce que nous fûmes et de ce que nous voulons reconstituer. Un village qui a résisté aux colons et qui a créé son propre territoire. Cela nous permet de changer de paradigme, de redéfinir et de réécrire l’histoire africaine », estime-t-il.

Le royaume du Sanwi a une place à part dans l’histoire puisqu’il précède la création de la Côte d’Ivoire. En 1843, la France et le royaume signent un accord de protectorat du territoire et le roi garde sa place et son influence. « Tout est parti d’ici : la première école, la première église, le premier barrage, les premières plantations de café et de cacao, l’or, les premiers intellectuels, les premiers commerces, énumère Olivier Kattie. Il y a le fleuve et la terre est très fertile. Mangez une mangue, jetez le noyau par terre, ça va pousser. »

Un royaume prospère

Grâce à toutes ces richesses, le lieu s’est rapidement développé et abrite de grandes familles. Jacqueline Kadjo Binté est l’héritière de Michel Assémien Kassi Binté, l’une des plus grandes fortunes de la ville grâce à ses investissements dans les brasseries locales. Revenue des Etats-Unis où elle a passé quinze ans de sa vie, elle habite aujourd’hui l’immense et luxueuse maison familiale. « Mes amis américains veulent eux aussi venir visiter et investir ici », souligne-t-elle.

Plus loin, un hôtel plutôt chic a même été construit. « La vie est douce et agréable à Krindjabo », raconte Sidney Joseph Slackman, un habitant de Los Angeles qui se rend régulièrement dans le royaume où il s’est fait un très bon ami. La ville est si prospère que le roi a récemment fait un don à l’Etat français pour la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le Sanwi est lié à l’édifice depuis que le prince Louis Aniaba, premier officier noir de l’armée française, a reçu en 1701 dans cet édifice les insignes de l’ordre de l’Etoile de Notre-Dame.

En avril, l’Etat ivoirien a relancé le projet de la Route de l’esclave pour mettre en lumière et financer les lieux marqués par l’esclavage. « Nous ferons de Krindjabo l’une des villes touristiques de la mémoire. Le tourisme de la mémoire sur l’esclavage est un tourisme du souvenir et de la douleur », déclarait alors Maurice Kouakou Bandaman, le ministre ivoirien de la culture et de la francophonie. Le roi du Sanwi, lui, souhaite ériger une stèle en l’honneur de Michael Jackson dans un lieu symbolique de la ville, afin d’immortaliser l’artiste et attirer les touristes du monde entier.