Aliou Sall lors d’une conférence de presse à Dakar, le 3 juin 2019. / Christophe Van Der Perre / REUTERS

Au Sénégal, le scandale #PetroGazGate fait ses premières victimes dans les rangs du gouvernement et parmi les proches du chef de l’Etat. Soupçonné de corruption, Aliou Sall, le frère du président, a démissionné de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), lundi 24 juin, quelques heures après qu’El Hadj Hamidou Kassé, ministre-conseiller chargé de la communication à la présidence, aurait été limogé.

Mis en cause début juin par une enquête de la chaîne britannique BBC qui l’accuse d’avoir obtenu un pot-de-vin de 250 000 dollars de la part de la société Petro-Tim pour l’attribution de deux concessions pétrolières et gazières, Aliou Sall semble avoir cédé à la pression de la rue. Vendredi, des milliers de Sénégalais sont descendus sur le boulevard du Centenaire, à Dakar, à l’appel de la coalition d’opposition Aar Linu Bokk. Ils demandent que la lumière soit faite sur cette affaire de corruption qui ébranle le pays.

Des « contrats léonins »

« Cet argent du pétrole doit servir à nos enfants, à la construction d’écoles et d’hôpitaux, à nos femmes qui meurent en milieu rural, sans soins, car dans des régions comme Kolda il n’y a qu’un gynécologue pour 500 000 patientes, martèle Simon Kouka, rappeur et membre du collectif citoyen Y’en a marre. Cet argent doit permettre de développer notre pays et que nos jeunes ne pensent plus à prendre les pirogues pour la France. »

Son collègue Aliou Sané, coordonnateur du mouvement, insiste sur l’importance de « revoir et renégocier tous les contrats léonins signés avec des compagnies pétrolières pour l’exploitation de notre gaz » : « Que toute organisation qui a perçu indûment des milliards de dollars rende l’argent au peuple sénégalais ! Il y a des royalties qui auraient dû se retrouver dans le Trésor public mais qui seront bientôt dans des comptes bancaires étrangers. »

Le militant fait référence à l’une des révélations de l’enquête de la BBC. Selon les documents confidentiels obtenus par la chaîne, Frank Timis, l’homme d’affaire australo-roumain derrière les sociétés Petro-Tim et Timis Corporation, toucherait, lors des quarante prochaines années d’exploitation des champs gaziers, jusqu’à 12 milliards de dollars du géant pétrolier BP, celui-ci ayant racheté ses parts dans deux concessions offshore en 2017.

Frank Timis, intermédiaire dans cette affaire, aurait recruté Aliou Sall en 2012, en tant que facilitateur auprès de son frère, Macky Sall, alors en campagne présidentielle, afin de garantir la transmission de deux concessions une fois ce dernier élu. Selon la BBC, Timis Corporation aurait alors versé 250 000 dollars à la société Agritrans, appartenant à Aliou Sall, ce qui ressemblerait fortement à un pot-de-vin. Le lendemain de la diffusion de l’enquête, le 2 juin, le frère du président avait assuré en conférence de presse n’avoir « jamais reçu, ni moi ni Agritrans », cette somme. Une ligne maintenue depuis lors.

La bourde de M. Kassé

Le 19 juin, El Hadj Hamidou Kassé est l’invité du journal Afrique de TV5 Monde. A la présentatrice, le ministre-conseiller affirme que cette somme de 250 000 dollars « a été virée pour le paiement d’une mission de consultation dans le secteur agricole », accréditant pour la première fois son existence. Pourtant, Petro-Tim ne possède aucune activité dans l’agriculture. Une bourde que M. Kassé aura du mal à rattraper. Lundi, le quotidien sénégalais L’Obs a révélé que le ministre-conseiller sera prochainement destitué. Une information que plusieurs sources gouvernementales semblent confirmer.

Le même jour, Aliou Sall s’est rendu à la mairie de son quartier de Guédiawaye, à Dakar, afin d’annoncer sa démission de la CDC, dont il avait été nommé directeur général en septembre 2017. Un geste qui vise sans aucun doute à apaiser la colère de la population mais qui ne semble pour l’instant pas avoir beaucoup d’effet. Aliou Sall, qui au lendemain de la diffusion de l’émission de la BBC avait annoncé attaquer la chaîne pour diffamation, a retiré sa plainte, le 12 juin, après l’ouverture d’une information judiciaire sur les allégations de corruption dans le dossier Petro-Tim. Le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, a promis une « enquête complète et approfondie », appelant « toute personne détentrice d’une quelque information se rapportant à ce dossier à aider à la manifestation de la vérité ».

Quant aux leaders de la coalition d’opposition Aar Linu Bokk, ils promettent de poursuivre les manifestations chaque vendredi, avec des actions spéciales durant la Coupe d’Afrique des nations (CAN 2019), du 21 juin au 19 juillet.