L’avis du « Monde » – A voir

Présenté à Cannes à Un certain regard et reparti avec le Coup de cœur du jury, La Femme de mon frère, de l’actrice et réalisatrice Monia Chokri (qu’on a pu voir dans Les Amours imaginaires, de Xavier Dolan, en 2010) n’obéit pas tout à fait au programme de son titre vaudevillesque. S’il est question d’une belle-sœur bientôt encombrante, Sophia, son héroïne, semble en vouloir à la terre entière. Brillante étudiante qui vient de terminer une thèse sur le philosophe italien Antonio Gramsci, Sophia vit chez son frère adoré et peine, comme toute sa génération, à amorcer un début de vie professionnelle ou même affective. La cinégénique et atypique Anne-Elisabeth Bossé prête ses traits à Sophia, parfaite fusion entre Bridget Jones et Daria, héroïne désabusée et cinglante de la célèbre série animée de MTV qui porte son nom.

Mais la comparaison s’arrête là : La Femme de mon frère est habité de toutes parts par une ambition formelle qui le rend assez insituable, quelque part entre geste d’auteur et comédie option « les mésaventures d’une célibataire ». Heureusement, Monia Chokri ne choisit pas, tout occupée à affûter chacun de ses plans comme des joyaux qui évoquent autant Godard, la Nouvelle Vague québécoise, Almodovar ou encore les envolées lyrico-pop du cinéaste et ami Xavier Dolan.

Un vrai bonheur de filmer

D’une minutie de chaque instant, le long-métrage traduit un vrai bonheur de filmer, un désir de ne rien laisser au hasard qui finit par se retourner contre lui. La joliesse de la saynète l’emporte finalement sur le travail plus imperceptible d’une véritable dramaturgie. On glane çà et là de belles idées, de beaux dialogues, de beaux costumes, sans que le film ne parvienne à homogénéiser cette somme de jolies choses. La faute, peut-être, à une manière d’envisager les scènes comme des moments en constante ébullition, au risque de l’épuisement.

Lire la critique (parue lors du Festival de Cannes) : « La Femme de mon frère », du blues et des lettres

Si l’inventivité ne manque pas chez Monia Chokri, le dosage fait trop souvent défaut. En témoignent les disputes incessantes, les perpétuels changements d’angle et l’usage parfois intempestif de la musique. La Femme de mon frère se veut là aussi hybride : à la fois l’expression d’un talent sûr mais qui enchaîne les effets de manche de peur d’ennuyer son spectateur. Reste que le film recèle une indéniable découverte : la drôlerie peste et boudeuse d’Anne-Elisabeth Bossé. Jusqu’ici méconnue en France, l’actrice est désormais inoubliable.

LA FEMME DE MON FRÈRE de Monia Chokri : BANDE-ANNONCE OFFICIELLE
Durée : 01:47

Film canadien de Monia Chokri. Avec Anne-Elisabeth Bossé, Patrick Hivon, Sasson Gabai (1 h 57). distribution.memento-films.com/film/infos/99