Pour de nombreux acteurs du secteur, la proposition de loi sur la sécurité des réseaux mobiles est perçue comme une « loi anti-Huawei ». / ARND WIEGMANN / REUTERS

La proposition de loi sur la sécurité des réseaux mobiles connaîtra-t-elle un sort favorable ? Après avoir franchi un premier cap à l’Assemblée nationale le 10 avril, le texte, qui suscite de nombreuses résistances chez les opérateurs de téléphonie mobile alors que l’arrivée de la 5G se profile doucement, devait être examiné mercredi 26 juin au Sénat, en séance publique, avant d’être soumis au vote. Si le débat ne devrait pas donner lieu à un affrontement « sanglant », le souci de préserver la sécurité des réseaux télécoms étant communément partagé par les parlementaires, quelques points de friction subsistent.

Ainsi, l’obligation faite aux opérateurs de préciser, pour toute demande d’autorisation d’installation d’un matériel, le « périmètre géographique » sur lequel celui-ci sera exploité a mis le feu aux poudres chez les industriels du secteur. Un avis de la commission de défense de l’Assemblée nationale, rendu le 2 avril, avait en effet évoqué la possibilité, par le biais de cette mention, « d’éviter un monopole d’équipement » pour garantir une résilience des réseaux en cas de panne, « quitte à ce que, dans une même zone, un même équipement puisse être autorisé pour un opérateur mais pas pour un autre ».

Remontés, certains opérateurs y ont vu les germes d’une économie administrée. Dans le texte discuté mercredi, la commission des affaires économiques du Sénat a supprimé cette référence. Le gouvernement devrait néanmoins la réintroduire pendant le débat. Lors de son audition au Palais du Luxembourg le 4 juin, la secrétaire d’Etat chargée des télécoms, Agnès Pannier-Runacher, avait rejeté les accusations brandies par les opérateurs : « Je ne crois pas qu’il appartienne à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information [l’autorité chargée de contrôler les matériels soumis à autorisation] de définir la politique achat des opérateurs télécoms, ce que l’agence reconnaît d’ailleurs. »

Les opérateurs redoutent des retards dans le déploiement de la 4G

Autre pierre d’achoppement, la rétroactivité de la proposition de loi. Le gouvernement souhaite étendre les contrôles des équipements à tous les réseaux, tandis que la commission des affaires économiques sénatoriale entend la limiter à la 5G. « Notre préoccupation est de nous assurer que le déploiement de la 5G ne se fasse pas au détriment de la 4G », précise la sénatrice Catherine Procaccia, rapporteuse du texte. Les opérateurs redoutent que le traitement de leurs demandes, beaucoup plus nombreuses, n’entraîne des retards dans la mise en œuvre de la 4G. « Selon nos calculs, cette loi multipliera par dix le nombre des équipements concernés par les demandes d’autorisation d’installation ! », s’emporte l’un d’entre eux.

Perçu par de nombreux acteurs du secteur comme une « loi anti-Huawei », ce dont Bercy se défend vigoureusement, arguant qu’aucun équipementier en particulier n’est visé, ce texte fait directement écho à la vague de suspicion qui entoure le champion chinois des télécoms depuis plusieurs mois. Les Etats-Unis, qui s’inquiètent que les produits de Huawei ne servent de cheval de Troie à Pékin pour espionner les Etats, mènent une campagne intensive de boycott à l’encontre du géant chinois.

Après avoir interdit aux opérateurs américains d’acheter des équipements 5G vendus par Huawei, Washington, en pleines tensions commerciales avec la Chine, envisagerait désormais, selon le Wall Street Journal, d’interdire l’installation sur ses réseaux télécoms de tout équipement ou logiciel fabriqué en Chine. Une telle mesure, si elle venait à être annoncée, toucherait également les équipementiers européens Nokia et Ericsson, dont une partie des produits est manufacturée en Chine, et pour lesquels le marché américain est crucial. Les deux fournisseurs pourraient être amenés à délocaliser une partie de leur production pour répondre aux exigences et à se défaire de certains sous-traitants, ce qui induirait de nombreux coûts et délais. Dans les télécommunications, les Etats-Unis ont peut-être perdu leur suprématie technologique d’antan, mais ils conservent le pouvoir de chambouler le marché.

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