Ce devait être l’une des ventes les plus spectaculaires jamais organisées en province : un tableau, attribué au Caravage par l’expert parisien Eric Turquin, et représentant Judith décapitant Holopherne, était prévu pour passer aux enchères à Toulouse, jeudi 27 juin, sous le marteau du commissaire-priseur Marc Labarbe, qui l’avait découvert, dit-il, dans un grenier de la région. Il était estimé entre 100 et 150 millions d’euros. Or, un communiqué diffusé mardi 25 juin a mis fin au suspense. L’œuvre a été cédée de gré à gré, avant la vacation qui est donc annulée.

« Nous avons reçu une offre qu’il était impossible de ne pas transmettre aux propriétaires du tableau. Le fait que cette offre provienne d’un collectionneur proche d’un grand musée a convaincu les vendeurs de l’accepter », a commenté Eric Turquin. L’identité dudit collectionneur, comme le montant de la transaction, pas plus que le nom du « grand musée » évoqué, n’ont été divulgués. On sait juste qu’il s’agit d’un étranger, tout comme le musée. Le Louvre dit n’être pas concerné, ni même au courant. Celui de Paris, en tout cas. Celui d’Abou Dhabi…

Du côté des milliardaires chinois

Car on en est réduit aux hypothèses, au mieux. Les monarchies du Golfe persique sont immédiatement soupçonnées dans ce type d’acquisition. Le montant, même s’il reste secret, peut raisonnablement être supposé proche des 150 millions d’euros que le tableau pouvait espérer atteindre aux enchères. Et c’est vers ces régions que le Salvator Mundi, attribué par certains à Léonard de Vinci et, à ce jour, le tableau le plus cher du monde avec une adjudication à 450 millions de dollars, a semble-t-il naguère vogué. On a sur son authenticité les mêmes réticences que celles qui pèsent sur le Caravage (plusieurs spécialistes, et non des moindres, considèrent toutefois ce dernier comme bon, d’autres pas, une querelle d’experts en somme), et plus encore : des photographies avant restauration du supposé Vinci montrent un personnage dont il ne subsiste qu’une silhouette, où seul le médium de la main droite était à peu près en bon état. Cela fait cher le doigt.

D’autres doigts, justement, pointent pour le Caravage – qui lui est dans un état exceptionnel – du côté des milliardaires chinois, un pays où on ouvre des musées à tour de bras, et qu’il faut bien remplir, de trophées si possible. Sans oublier les Américains, qui sont amateurs de longue date et dont trois musées au moins pourraient s’enorgueillir de posséder un Caravage de plus, d’autant qu’on n’en connaît que 65 dans le monde, à peu près attestés. Mais au risque de fâcher nos lecteurs, la vérité est qu’on n’en sait rien.

Deux mille places assises

Si l’ignorance peut être excusable chez un journaliste, on aurait mauvaise grâce à la reprocher au Musée du Louvre : dans un premier temps, en mars 2016, ses spécialistes avaient interdit le tableau de sortie du territoire. Après plusieurs analyses et une confrontation en 2017 avec les Caravage déjà conservés au Louvre et celui du Musée de Rouen, ils ont décidé de le laisser partir. Cela pourrait jeter un doute supplémentaire sur son attribution, mais le Louvre n’avait peut-être simplement pas les moyens d’acquérir le tableau, ce qu’il eût été obligé de faire en cas de classement. Le cas est, hélas, fréquent.

Ce que l’on sait, par contre, avec certitude, c’est qu’on a raté un beau spectacle. Maître Marc Labarbe, le commissaire-priseur, avait prévu la vente à 18 heures, jeudi 27 juin, dans la Halle aux grains de Toulouse. Deux mille places assises, une tribune pour la presse, équipée de tout le confort moderne (des boîtiers permettant de récupérer le son et les images, et une salle de presse au sous-sol avec accès Internet permettant aux journalistes d’envoyer leurs reportages). Pour les malheureux qui ne pouvaient y accéder, six caméras devaient filmer et diffuser la vente en direct. Au moment de l’annonce de la vente de gré à gré, vingt personnes travaillaient encore à installer les lieux. Mais voilà, les vendeurs en ont décidé autrement : quand on compte, on n’aime pas.