Un livreur à vélo Uber Eats, au centre de Lille, en 2017. / PHILIPPE HUGUEN / AFP

En ce jeudi 27 juin de canicule, aux alentours de midi, les livreurs à vélo se font rares place d’Italie, dans le 13e arrondissement de Paris, un lieu où ils ont pourtant l’habitude de se regrouper autour des nombreux restaurants. Adossé à un arbre, cela fait dix minutes que Mouhanned attend sa prochaine course. « L’été, c’est deux fois plus dur. A cause de la température, mais aussi car il y a moins de commandes, les gens préfèrent manger dehors. Les temps d’attente sont plus longs », explique ce livreur d’Uber Eats.

A cela s’ajoutent des pépins techniques liés aux fortes chaleurs. « Le vélo s’use plus rapidement. Hier, j’ai encore dû changer ma chambre à air. » Conséquence : ce trentenaire qui travaille aussi sur un chantier s’adapte. « Je livre une heure ou deux en journée et concentre le reste de mes livraisons entre 21 heures et 2 heures du matin, ce qui me permet de gagner environ 200 euros par semaine. »

Edouard, lui, a jeté l’éponge. Après une soirée de lundi particulièrement éprouvante, ce livreur pour la plate-forme Deliveroo a décidé d’annuler ses créneaux sur le reste de la semaine.

« Il faut être raisonnable, entre la chaleur et la pollution, il est dangereux de pédaler pendant plusieurs heures. »

Mais la décision de cesser complètement leur activité n’est pas sans conséquence pour les livreurs. Non seulement ils ne toucheront pas un centime, mais ils seront pénalisés par l’algorithme d’attribution des créneaux de livraison de Deliveroo. Avec le risque de se retrouver la semaine suivante avec des plages horaires ou des lieux moins rémunérateurs.

« La compétition est encore plus rude »

Certains ne peuvent pas se le permettre. « C’est mon seul revenu, la question ne se pose même pas. D’autant qu’en été la compétition est encore plus rude, beaucoup d’étudiants se mettant à livrer pendant cette période », explique Nicolas, qui travaille pour Uber Eats et Stuart à Bordeaux. Selon lui, cette abondance de petits bras permet aux plates-formes de ne pas augmenter la rémunération malgré les conditions de travail plus difficiles.

Glovo invite ses utilisateurs à offrir un verre d’eau aux livreurs. / DR

Interrogée, Deliveroo ne prévoit pas, en effet, de hausse de tarifs, comme ça a pu être le cas lors de fortes intempéries. C’est tout juste si le site a envoyé des messages de prévention par courriel à ses coursiers les incitant à bien s’hydrater… et mis en place des « distributions d’eau dans toutes les villes touchées par la canicule ». Cynique, la plate-forme Glovo invite ses clients à « offrir un petit verre d’eau » aux coursiers. Un message qui a fait fortement réagir sur les réseaux sociaux, soulevant la question des conditions de travail de ces livreurs indépendants pendant la canicule.

« Les plates-formes font le minimum vital », regrette Jérôme Pimot, ancien livreur Deliveroo et membre du Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP), qui dénonce l’hypocrisie des plates-formes. « D’un côté, les distributions d’eau sont assurées par d’autres travailleurs indépendants, avec des moyens très limités. De l’autre, l’entreprise vient de lancer une offre promotionnelle pour relancer ses ventes pendant la canicule. »

L’offre promotionnelle de Deliveroo. / DR

D’un point de vue légal, rien n’oblige ces entreprises à prendre des mesures adaptées envers leurs livreurs. « Ce ne sont pas des salariés, mais des autoentrepreneurs, ils ne sont donc pas soumis au droit du travail, explique Karine Audouze, avocate associée dans le cabinet UGGC. Quant au gouvernement, il ne dispose d’aucun moyen légal pour limiter l’activité de ces plates-formes en période d’aléas climatiques. »