Ce sera peut-être le prochain grand chantier parisien. Lors du conseil municipal qui s’ouvrira lundi 8 juillet, les élus de Paris auront à voter sur un projet d’urbanisme spectaculaire : la reconfiguration d’une partie majeure de l’« axe historique » qui traverse la capitale d’est en ouest, celle qui va des Tuileries aux Champs-Elysées en passant par la Concorde. Objectif : en refaire « une grande promenade urbaine ». Notamment en rendant la place de la Concorde en partie piétonne.

Le projet a été élaboré par les élus de l’UDI et du MoDem, et n’a pas été validé à ce stade par l’équipe de la maire socialiste, Anne Hidalgo. Mais Eric Azière, le conseiller de Paris qui préside de le groupe UDI-MoDem, en est persuadé : « Notre plan a vocation à être adopté à la majorité, sinon à l’unanimité. » Il aimerait aboutir à un consensus, un peu comme pour les travaux récents sur l’avenir du périphérique, un dossier dont il était rapporteur. « La proposition mérite examen et études sérieuses, même si les obstacles sont nombreux », commente Jean-Louis Missika, l’adjoint d’Anne Hidalgo chargé de l’urbanisme.

Un axe « désynchronisé, segmenté »

A l’origine des réflexions en cours, un constat. Au cœur de Paris, un axe rectiligne dont l’origine remonte à Marie de Médicis part de la cour du Louvre pour rejoindre l’Arc de triomphe, et désormais l’arche de la Défense. Il s’agit de « l’une des perspectives urbanistiques et paysagères les plus grandioses au monde », souligne le projet de délibération. Mais cette ligne se révèle aujourd’hui un peu brisée. « L’axe semble désynchronisé, segmenté, “dépaysagé” », coupé en trois tronçons, juge Eric Azière.

Premier morceau, le jardin des Tuileries. Ce jardin conçu par André Le Nôtre dans les années 1670 est « mal aménagé, mal pensé, mal équipé pour répondre à l’accueil des 14 millions de visiteurs annuels », estiment les élus. Il est poussiéreux, et « les rares manifestations qui y sont organisées », comme la grande roue installée par Marcel Campion, « ne correspondent pas vraiment à la vocation première du lieu ».

Le deuxième segment correspond à la place de la Concorde. Encore presque exclusivement dévolue à la circulation automobile, « elle reste très difficile à traverser pour les piétons et les vélos », regrette le rapport rédigé par le groupe UDI-MoDem. Enfin, les jardins du bas des Champs-Elysées sont assez peu fréquentés par les Parisiens et les touristes « par manque de charme et d’aménagements », constatent les élus.

Résultat : les millions de personnes qui se promènent sur les Champs-Elysées prolongent rarement leur déambulation au-delà de la place de la Concorde, considérée comme une barrière. Et ceux qui viennent du Louvre en sens inverse sont souvent stoppés eux aussi dans leur parcours.

Le projet présenté vise à rénover ces trois tronçons de la « voie royale » et à leur redonner l’unité qui fait aujourd’hui défaut. Pour y parvenir, Eric Azière propose d’abord de transférer la propriété du jardin des Tuileries. Ce jardin pourrait passer du giron de l’Etat à celui de la Ville de Paris. Cette cession permettrait à la Ville de le réaménager « en cohérence avec la Concorde et le bas des Champs-Elysées », et d’y planter davantage d’arbres. Cela lui donnerait aussi la haute main sur les concessions attribuées dans le jardin, et « permettrait de définir une offre de restauration adaptée au public des Tuileries ».

Vue des Champs-Elysées depuis la place de la Concorde, à Paris. / CHARLE BOWMAN/ Axiom / Design Pics / Photononstop

Le sujet est sensible, compte tenu des relations tendues entre l’Etat et la Mairie de Paris concernant les Tuileries. Alors qu’Anne Hidalgo a mis un terme aux activités de Marcel Campion sur le domaine public géré par la Ville, le « Roi des forains » et candidat aux prochaines élections municipales a trouvé asile dans le jardin des Tuileries, qui dépend du ministère de la culture. C’est là que l’entrepreneur a installé ce mois-ci sa grande roue, interdite place de la Concorde.

La place de la Concorde partiellement rendue aux piétons

Le projet prévoit également de réorganiser la Concorde. La moitié de la place, celle la plus proche des Tuileries, serait fermée à la circulation automobile, sur le modèle du réaménagement en cours de la place de la Bastille. Les piétons pourraient ainsi accéder sans problème aux fontaines des Mers et des Fleuves qui se trouvent sur le terre-plein central et au fameux obélisque de Louxor, couverte de hiéroglyphes. La circulation des vélos serait aussi facilitée, alors que la place constitue actuellement un point noir pour eux.

« Cela ne poserait aucun problème pour les voitures, promet Eric Azière. La Concorde n’est plus la place engorgée des années 1960 ou 1970. Depuis, la circulation dans Paris a beaucoup diminué. »

En 2018, dans le cadre d’un appel à projet, l’agence franco-britannique Djao-Rakitine avait suggéré de façon encore plus radicale de créer un nouvel espace vert majeur dans le centre de Paris en végétalisant la place de la Concorde. La proposition a été bloquée, notamment en raison de l’opposition de l’architecte des bâtiments de France. « Mais compte tenu de l’îlot de chaleur que représente cette place, je suis toujours favorable à sa végétalisation », assure l’adjoint Jean-Louis Missika.

Le dernier volet du plan présenté par le groupe UDI-MoDem concerne le bas des Champs-Elysées. Les commerçants réunis au sein du Comité Champs-Elysées ont présenté en avril leurs propres propositions pour « réenchanter » l’avenue. Au programme, une patinoire en hiver, une plage en été sur la place de l’Etoile, plus d’arbres et moins de voies pour les voitures…

Le projet des élus parisiens reste ici à l’état d’ébauche. Il insiste surtout sur la nécessité de recréer une continuité entre les jardins des Champs-Elysées chers à Marcel Proust et la place de la Concorde voisine. De jour, mais aussi de nuit. « Imaginez le chemin lumineux que nous pourrions créer entre l’Etoile et le Louvre », rêve déjà Eric Azière. Le passage à la réalité aura lieu, au mieux, après les élections municipales de mars 2020.