François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, répond aux questions de Françoise Fressoz et Philippe Escande, jeudi 27 juin, lors du Club de l’économie du « Monde ». / Marc Chaumeil

Pour le ministre de la transition écologique et solidaire, la prise de conscience est là, pas l’acceptation des contraintes. Mais la bascule est proche.

Comment réagissez-vous à cet épisode caniculaire ?

Par rapport à 2003, nous avons beaucoup progressé dans la capacité à nous adapter aux problèmes liés à l’urgence, notamment la protection des personnes les plus fragiles. En revanche, ce que nous vivons depuis quelques jours démontre que, sur l’ensemble de la vie économique et sociale, nous sommes loin d’être prêts à supporter des chocs de ce type s’ils se multipliaient, s’ils devenaient plus longs, plus fréquents et plus intenses, ce qui est justement le risque lié au dérèglement climatique.

L’Etat est accusé de n’en avoir pas assez fait ces dernières années. Comment gérez-vous cette pression ?

Je garde mes nerfs, même si ce n’est pas toujours facile. Des énormités se disent sur l’écologie, de tous côtés d’ailleurs. En ce moment, nous entendons surtout ceux qui disent que ce n’est jamais assez. C’est un peu le syndrome de « tant qu’on n’a pas tout changé, on n’aura rien changé », ce qui conduit généralement à ne rien changer. N’oublions pas qu’à l’automne un certain nombre de personnes nous reprochaient l’exact contraire : nous allions trop vite ! Souvenez-vous des débats autour de la voiture électrique. Tous les groupes de « gilets jaunes » que j’ai rencontrés y étaient hostiles. D’un seul coup, des gens se sont mis à dire que ce genre de véhicule était plus polluant que la voiture thermique, ce qui défie toutes les études scientifiques. La difficulté du moment tient au fait que la prise de conscience du dérèglement climatique a augmenté sans déclencher automatiquement l’action. La sensibilité au sujet étant plus forte, on survalorise les résultats négatifs.

Pourquoi est-ce si difficile de bouger ?

Le cœur du débat politique, c’est le degré de contraintes que l’on est prêt à supporter. Prenez la lutte contre le tabagisme, on n’y serait jamais arrivé sans un certain degré de contraintes. Sur l’écologie, on n’en est pas encore là. Il faut, au contraire, lutter contre l’idée que l’écologie serait forcément punitive. A un moment, je pense qu’il y aura une bascule. On n’en est pas loin. Qui aurait parié, il y a dix ans, sur le développement de l’agriculture bio que nous connaissons aujourd’hui ?

Assumez-vous avoir toujours un train de retard ?

Je revendique ma capacité à faire des compromis, même si cela ne garantit pas le succès médiatique. Je pense que les changements progressifs sont plus durables et profonds que les choses brutales qui nous poussent ensuite à faire marche arrière. La taxe carbone en est un exemple. Je revendique également l’action globale : il ne suffit pas de prendre pour cible tel secteur, comme le transport aérien, pour lutter contre le réchauffement climatique. Il faut regarder ce que nous sommes capables de faire dans l’ensemble des secteurs en tablant sur notre capacité collective à combiner un certain niveau de confort auquel nous sommes attachés, et les objectifs écologiques.

Faut-il changer de modèle de développement ?

Je suis un pragmatique. Je préfère me concentrer sur les leviers d’action que sur les débats philosophiques.

Qu’attendez-vous de la convention citoyenne annoncée par le président de la République à l’issue du grand débat national ?

Cent cinquante citoyens tirés au sort vont travailler durant six mois pour tenter de rendre l’action de la France pour le climat plus efficace. Ils vont se réunir un week-end entier toutes les trois semaines pour évaluer les dispositifs existants et tenter de les améliorer. C’est une première, l’inverse de la dictature de l’immédiateté. De cette consultation doit sortir un paquet de mesures cohérentes. C’est la lettre de mission. Et le président de la République a dit explicitement que les résultats de la convention citoyenne seraient repris sans filtre pour être intégrés soit au domaine réglementaire, soit à la loi.

Soyons clairs, vous attendez d’eux qu’ils endossent l’épineux sujet de la taxe carbone…

Le FMI le dit : la taxe carbone est la mesure la plus efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elle sera donc en débat, parmi les autres mesures. L’exemple de l’Irlande me rend optimiste : à 80 %, les citoyens consultés ont suggéré une taxe carbone sur le climat.

A quoi sert concrètement le conseil de défense écologique qui se réunit désormais régulièrement à l’Elysée ?

Je vais prendre un exemple concret : l’Etat annonce qu’il va être exemplaire en matière d’isolation des bâtiments publics. Or, mon ministère n’a pas autorité sur le parc immobilier de l’Etat, même pour la question énergétique. Ce domaine relève du ministère du budget, de l’action et des comptes publics. Si nous voulons que tous les services de l’Etat, tous les ministères, se sentent impliqués et rendent des comptes, le plus efficace est qu’ils le fassent sous la présidence du chef de l’Etat. Emmanuel Macron est autant attaché au suivi de la mise en œuvre d’une réforme qu’à des annonces supplémentaires.

Vous qui êtes un antinucléaire historique, comment assumez-vous le fait que la réduction de la part du nucléaire à 50 % ait été repoussée de 2025 à 2035 ?

Il ne vous a pas échappé qu’il ne s’est pas passé grand-chose en 2015, 2016 et 2017 pour amorcer le rééquilibrage entre le nucléaire et d’autres formes de production d’électricité… Nous mettrons en œuvre l’engagement non tenu par François Hollande d’arrêter la centrale de Fessenheim [Haut-Rhin]. Un réacteur s’arrêtera en mars 2020, un second en août ou octobre 2020. Des gens se sont battus des années pour cela et ils ne sont pas capables de faire un Tweet de 280 signes ou même moins pour saluer la décision. Passons, c’est ainsi.

Comment réagissez-vous aux nouvelles difficultés rencontrées par l’EPR à Flamanville, dans la Manche ?

J’essaie d’être rationnel. Il y a trois sites dans le monde où des EPR ont été construits. Deux d’entre eux ont été validés. En France, l’Autorité de sûreté nucléaire a évoqué un problème spécifique sur des soudures. Il faut régler ce problème. Certains parlent de fiasco et demandent qu’on arrête tout. Ma réponse est non. Si nous dépensons 11 milliards d’euros dans une unité de production, autant qu’elle produise de l’électricité. Quant au fait de commander ou non de nouveaux EPR, la décision sera prise en 2022, après les élections, puisque c’est un choix lourd pour la France.