En 2017, le pianiste Alexandre Kantorow a publié l’album « A la russe », couvert de récompenses. / LABEL BIS

C’est une victoire historique, et pour tout dire un exploit, que réalise le pianiste Alexandre Kantorow, 22 ans, premier Français à avoir remporté, jeudi 27 juin, le Premier Grand Prix du prestigieux Concours Tchaïkovski de Moscou, dont la 16e édition se tenait du 17 au 29 juin. Le dernier concours, qui est quadriennal, remontait à 2015 : un Français déjà, arrivé à la quatrième place, Lucas Debargue (25 ans), s’était distingué en obtenant le prix de la très influente Association de la critique musicale de Moscou.

Kantorow a triomphé lors de la finale avec un doublé particulièrement audacieux, le Deuxième Concerto pour piano, de Tchaïkovski et le Deuxième concerto pour piano, de Brahms, l’un de ses compositeurs préférés, avec l’Orchestre symphonique de Russie Evgeny Svetlanov, dirigé par Vasily Petrenko. Le reste du palmarès a désigné à la deuxième place le Japonais Mao Fujita et le Russe Dimitri Chichkine (Deuxième Prix ex æquo), le Troisième Prix étant attribué à l’Américain Kenneth Broberg et aux Russes Alexei Melnikov et Konstantin Yemelyanov. Si le Quatrième Prix revient au Chinois Tianxu An, pas de cinquième et sixième prix en revanche. Assiste-t-on à la fin de la suprématie du piano russe qui, jusqu’alors, se taillait la part du lion ?

Présidée depuis 2011 par le tsar Valery Gergiev, cette compétition, suivie par Vladimir Poutine en personne, a toujours été une affaire d’Etat : les seize précédentes éditions, à l’exception de la première, en 1958, qui couronna à la stupeur générale l’Américain Van Cliburn en pleine guerre froide, ont jusqu’alors consacré à la première place une cohorte de Russes, de Vladimir Ashkenazy à Daniil Trifonov, en passant par Grigory Sokolov, Vladimir Krainev, Andrei Gavrilov, Mikhail Pletnev, Boris Berezovsky, Denis Matsuev. C’est peu dire qu’Alexandre Kantorow (malgré ses origines russes) rejoint le cercle très fermé des valeureux émissaires « étrangers », les Britanniques Barry Douglas (1986), John Ogdon (1962, ex æquo avec Ashkenazy), John Lill (1970, ex æquo avec Krainev), la Japonaise Ayako Uehara (2002), plusieurs éditions n’ayant pas désigné de tête de podium (1982, 1994, 2007).

Des débuts ovationnés

Né à Clermont-Ferrand le 20 mai 1997, Alexandre Kantorow grandit dans une famille de musiciens. Sa mère et son père – le célèbre Jean-Jacques Kantorow, aujourd’hui également chef d’orchestre – sont tous deux violonistes, mais le petit garçon démontre une attirance pour le piano et débute au conservatoire de Pontoise (Val-d’Oise) à l’âge de 5 ans. Trois ans plus tard, il entre au conservatoire du 10e arrondissement de Paris avant de devenir, à 11 ans, l’un des élèves particuliers du pianiste Pierre-Alain Volondat, lauréat du concours Reine Elisabeth en Belgique.

Alexandre Kantorow n’a pas attendu sa victoire au Concours Tchaïkovski pour commencer une carrière saluée d’emblée comme très prometteuse

Il poursuit ensuite en même temps la classe d’Igor Laszko à la Schola Cantorum, à Paris, et le cursus à horaires aménagés du lycée Racine, commençant à donner ses premiers petits concerts. L’entrée au Conservatoire national supérieur de Paris s’impose : il y poursuit sa formation avec Frank Braley et Haruko Ueda. Le jeune musicien prend également conseils auprès d’amis de son père, les pianistes Jean-Philippe Collard, Georges Pludermacher, Théodore Paraskivesco ou Christian Ivaldi. Mais c’est, comme son compatriote Lucas Debargue, à l’Ecole normale de musique de Paris, qu’il se perfectionne auprès de la charismatique (et désormais très recherchée) pédagogue Rena Shereshevskaya.

Alexandre Kantorow n’a pas attendu sa victoire au Concours Tchaïkovski pour commencer une carrière saluée d’emblée comme très prometteuse. Il a 16 ans quand René Martin l’invite à la Folle Journée de Nantes avec le Sinfonia Varsovia, 17 lorsqu’il se produit à la Philharmonie de Paris avec l’Orchestre Pasdeloup, 18 quand il joue en récital à l’auditorium de la Fondation Louis Vuitton. Depuis, il a joué au Concertgebouw d’Amsterdam, où ses débuts ont été ovationnés, au Konzerthaus de Berlin, au Bozar de Bruxelles, ainsi qu’au Festival Chopin à Paris et au Festival de La Roque-d’Anthéron, où il se produira cet été le 26 juillet avant d’ouvrir, le 6 septembre, la quarantième édition du Festival Piano aux Jacobins, où il a donné un premier concert en 2017.

Une belle discographie pour le label Bis

La dernière cérémonie des Victoires de la musique classique avait nommé Alexandre Kantorow dans la catégorie « Révélation de l’année », une récompense finalement attribuée au guitariste Thibaut Garcia. Pour autant, le jeune pianiste a déjà à son actif pour le label Bis une belle discographie. Avec son père à la tête du Tapiola Sinfonietta, il a publié en 2017 les concertos pour piano de Liszt et vient de sortir ceux de Camille Saint-Saëns.

Quant à son récital « A la russe », couvert de récompenses en 2017, nous écrivions dans Le Monde. « A 20 ans tout rond, le jeune Alexandre Kantorow nous livre un disque d’une rafraîchissante maturité (les mots sont pesés). Le programme, très finement ­organisé, mêle intelligemment pièces peu ­connues et grands ­tubes. Puissance, rondeur, legato, le Français possède un jeu ­profond et riche, virtuose sans ­esbroufe, sensuel sans sentimentalisme, une personnalité capable de véritablement penser la musique. »

Lire dans notre sélection d’albums : la critique d’« A la russe »

Les épreuves du concours ont été retransmises dans 190 pays par le site français Medici.tv : plus de 16 millions de vues à ce jour. Il faut dire que la prestation féline du jeune pianiste, son mélange de concentration et de décontraction apparente, sont époustouflants. « J’étais encore un peu tendu au premier tour, a confié le Français à la presse. Au deuxième, j’étais juste heureux d’être là. »

#TCH16 - Alexandre Kantorow (Final Round)
Durée : 02:55