Les manifestants, lors de la mobilisation du 30 juin à Khartoum, demandent le transfert du pouvoir aux civils. La police a ensuite tiré des gaz lacrymogène dans la foule, selon de nombreux témoins. / AFP

Plusieurs milliers de manifestants sont sortis dans les rues de la capitale du pays, Khartoum, dimanche 30 juin, pour réclamer le transfert du pouvoir – détenu par les militaires – aux civils, à l’appel de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation. Face à la mobilisation, la police a tiré des gaz lacrymogènes, ont indiqué des témoins.

Avant le début de la protestation, plusieurs pays ainsi que des ONG ont appelé à la retenue pour éviter une nouvelle répression sanglante après la dispersion brutale le 3 juin du sit-in devant le QG de l’armée dans la capitale soudanaise, qui avait fait des dizaines de morts.

L’ampleur des manifestations pourrait être un test pour jauger la capacité des meneurs de la contestation à mobiliser. Mais aussi pour le Conseil militaire de transition, qui tient les rênes du pays depuis la destitution et l’arrestation le 11 avril par l’armée du président Omar el-Béchir.

Dans trois quartiers de Khartoum – Bari, Arkaweit et Al-Mamoura –, la police a tiré des gaz lacrymogènes sur les manifestants qui criaient « Pouvoir civil ! Pouvoir civil ! », selon des témoins. Les forces de sécurité ont également tiré des gaz lacrymogènes dans la ville de Gadaref, dans l’est du pays, ont indiqué d’autres témoins.

Brandissant des drapeaux soudanais et faisant le signe de la victoire, hommes et femmes ont envahi les rues du quartier d’Al-Sahafa à Khartoum, selon un journaliste de l’AFP sur place. De nombreux magasins ont gardé leurs rideaux baissés.

« Nous sommes ici pour les martyrs du sit-in. Nous voulons un Etat civil qui garantisse notre liberté. Nous voulons en finir avec la dictature militaire », a déclaré un manifestant, Zeinab, 23 ans.

Les manifestants dans les rues de Khartoum, le 30 juin 2019. / EBRAHIM HAMID / AFP

Les forces paramilitaires déployées dans Khartoum

En prévision des rassemblements, les paramilitaires des forces de soutien rapide (RSF) ont été déployés sur plusieurs places de Khartoum, à bord de leurs habituelles camionnettes dotées de mitrailleuses. Les autorités bloquent depuis des semaines l’accès à internet, outil stratégique pour mobiliser les manifestants dès le début du mouvement de contestation inédit au Soudan le 19 décembre 2018.

Ce mouvement a été déclenché initialement par le triplement du prix du pain dans un pays pauvre à l’économie exsangue. Les manifestations se sont ensuite transformées en contestation contre le pouvoir du général Béchir, qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis près de trois décennies.

Epicentre de la contestation, le sit-in devant le QG de l’armée, commencé le 6 avril, a été brutalement dispersé le 3 juin. Au moins 128 personnes ont péri dans la répression qui a duré plusieurs jours, la grande majorité dans la dispersion du sit-in, selon des médecins proches de la contestation. Les autorités ont fait état de 61 morts.

Les RSF ont été accusées par les manifestants, des ONG et des experts, d’être à l’origine de cette dispersion. Un comité d’investigation mis sur pied par le Conseil militaire a reconnu que des « officiers et des soldats » étaient impliqués dans la dispersion du sit-in, mais le Conseil militaire a assuré avoir donné l’ordre de mener une opération antidrogue dans un secteur voisin, qui a débordé et mal tourné.

Les militaires appelés à la retenue

Samedi, les généraux ont averti qu’ils feraient porter à l’ALC « l’entière responsabilité » en cas de « perte humaine » ou de tout « acte de vandalisme » pendant les manifestations.

L’Union européenne a appelé les militaires au pouvoir à la retenue. « Il est du devoir du Conseil militaire d’assurer la sécurité de tous et de s’abstenir de tout recours à la violence contre les manifestants ». Pour Amnesty International, « le Conseil militaire ne doit pas laisser le pays glisser vers plus de répression. Le monde observe ». La mobilisation de dimanche « sera une tentative du peuple de montrer que c’est lui qui a le dernier mot », estime Khaled Al-Tijani, rédacteur en chef du journal Elaff.

Dernièrement, les protestataires s’étaient contentés de petits rassemblements à Khartoum, parfois dispersés par les forces de sécurité. Malgré le bras de fer, les chefs de la contestation et le Conseil militaire se disent ouverts à une reprise des négociations, à travers une médiation de l’Ethiopie et de l’Union africaine, pour dessiner les grandes lignes de la transition à venir.