Un éléphant dans le parc national d’Amboseli, au Kenya, en février 2016. / Goran Tomasevic / REUTERS

Tribune. Les deux cyclones qui ont frappé le Mozambique en mars et en avril ont détruit complètement la ville de Beira et fait plus de 600 morts. Des milliers de survivants de cette catastrophe naturelle vivent toujours dans des camps de réfugiés, dépendent entièrement de l’aide et n’ont pas les moyens de se reconstruire. Dans le même temps, des pays comme le Kenya, l’Ethiopie et la Namibie ont connu des épisodes de sécheresse qui exposent des millions de personnes à la famine.

Ces situations illustrent bien le paradoxe en Afrique aujourd’hui. Dans une partie du continent, de violentes tempêtes inondent et tuent. Dans une autre, des personnes meurent par manque d’eau. Ces deux extrêmes s’expliquent assurément par le dérèglement climatique et la perte de biodiversité.

Il suffit de lire le rapport préparé par 150 experts de 50 pays au sein de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), publié en mai, pour prendre la mesure du danger. Selon eux, la Terre risque de voir disparaître un million d’espèces animales et végétales. Une telle perte aura un impact immense sur l’humanité. Elle compromettra notre capacité à nous nourrir et nous exposera à des conditions météorologiques extrêmes, comme celles que nous observons déjà dans certaines régions de l’Afrique.

Les statistiques les plus récentes indiquaient déjà un déclin sévère de la faune sur le continent africain. Selon le dernier décompte, il n’existe plus que 5 050 rhinocéros noirs dans la nature, contre 65 000 en 1964. L’Afrique ne compte plus qu’environ 415 000 éléphants, contre 1 million en 1964. En cinquante ans à peine, nous avons perdu plus de la moitié de la population de pachydermes, et ce nombre ne cesse de diminuer. La situation n’est guère plus reluisante pour les lions, les guépards et les girafes. Nous nous attendons encore à une forte baisse des populations fauniques, toutes espèces confondues, l’écosystème étant devenu trop inhospitalier et hostile.

Les éléphants, jardiniers de la nature

Nous, Africains, devons être à l’avant-garde de la sauvegarde de la faune. En effet, les animaux ont une valeur économique, sociologique, culturelle et fonctionnelle. Sans eux, les écosystèmes dont nous avons besoin pour notre alimentation seraient gravement compromis. Les éléphants, par exemple, sont les jardiniers de la nature. Ces agents importants de dispersion contribuent à l’agrandissement de nos forêts, assurant ainsi la survie de primates, d’oiseaux et d’insectes qui font office de pollinisateurs. Un monde sans pollinisateurs est un monde où la production agricole est limitée ; c’est un monde exposé à la famine.

African Wildlife Foundation (AWF) comprend l’importance de la faune et de la flore sauvages pour la survie de l’humanité et collabore avec les gouvernements africains pour que ces ressources soient protégées en même temps que l’Afrique se développe et se modernise. Nous sommes présents dans quinze pays d’Afrique, avec divers programmes et projets qui incluent le renforcement des capacités, l’amélioration des moyens de subsistance durables pour les communautés, l’adaptation aux changements climatiques, l’éducation environnementale et l’économie verte.

Nous croyons au leadership africain et savons par expérience que les interventions les plus réussies sont celles qui répondent aux besoins des communautés locales (et des pays), les impliquent dans la mise en œuvre et, surtout, s’inscrivent dans une stratégie nationale. Les résultats de nos actions au Cameroun, en République démocratique du Congo (RDC), au Kenya, en Tanzanie ou au Zimbabwe confirment l’urgence d’arrimer les actions de conservation aux aspirations de développement des pays.

Nous pensons que l’Afrique doit se développer et peut le faire sans nuire à sa faune, à condition que ses dirigeants et sa population soient disposés à faire les ajustements nécessaires pour transformer ce potentiel en réalité. Ce travail est trop important pour être laissé aux seuls défenseurs de l’environnement, scientifiques et militants. Les gouvernements, le secteur privé, la société civile, la jeunesse et les autres parties prenantes doivent s’unir à nous pour mener ce bon combat. L’Union africaine doit également s’investir dans l’élaboration d’une réponse concertée, en incitant ses pays membres à adopter des politiques qui ne mettent pas en danger les divers atouts naturels du continent.

Nous voulons une Afrique prospère et biodiversifiée ; elle n’est possible que si nous prenons de bonnes décisions aujourd’hui.

Charly Facheux est vice-président d’African Wildlife Foundation, chargé des politiques, des stratégies et des programmes en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.