Il y a des mots qui ressuscitent les souvenirs – bons… ou moins bons. « Internat » en fait partie : synonyme de « mise à l’isolement », de « punition », pour certains, il est, pour d’autres, un vecteur de « réussite » et d’« émancipation ». En présentant, lundi 1er juillet, son plan internat reposant sur la relance de 240 établissements d’ici à la fin du quinquennat, Jean-Michel Blanquer a convoqué une référence parlant d’abord aux élèves de ce siècle : Harry Potter, le jeune sorcier « pensionnaire » de Poudlard. « Il faut susciter le désir, l’appétit d’internat chez les jeunes d’aujourd’hui », a fait valoir le ministre de l’éducation en ouverture de la conférence de presse qu’il a tenue Rue de Grenelle, à Paris.

Pas de sorcellerie parmi les sept thématiques autour desquelles les internats nouvelle génération devront bâtir leur projet éducatif : l’éducation nationale a retenu les arts, le sport, le numérique, l’ouverture internationale, l’environnement, la biodiversité et les sciences. De quoi développer une offre éducative « nouvelle » dans 100 établissements « pas tous nouveaux » : c’est ce qu’a reconnu le ministre, plaidant d’abord pour une transformation et une revitalisation de « l’existant ».

De fait, dans les zones rurales et de haute montagne où les internats ont connu leur âge d’or à la fin du XIXe et jusqu’au début du XXe siècle, on compte aujourd’hui les lits vacants. Sur les 222 400 places disponibles un peu partout en France, 182 600 sont occupées, de source ministérielle. Soit 40 000 qui attendent un pensionnaire.

Coût prohibitif

A cet « axe ruralité » s’adosse un « axe quartiers » : 100 « internats d’excellence » (au moins un par quartier prioritaire et dans les territoires nouvellement labellisés cités éducatives) doivent être déployés, à la même échéance. Ceux qui ont suivi le parcours de M. Blanquer comme recteur de Créteil puis comme directeur général de l’enseignement scolaire savent que ce type d’établissement correspond à son « utopie éducative ».

Portés aux nues sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, avant d’être ramenés dans le rang des établissements ordinaires par la gauche, ces internats d’excellence sont censés bénéficier aux élèves méritants issus de milieux défavorisés et leur garantir un développement culturel, une ouverture au monde et une pratique sportive d’excellence.

Leur coût a été reconnu comme prohibitif dans plusieurs rapports. Interrogé sur ce point, le ministre de l’éducation qui a encore visité, samedi 28 juin, l’internat d’excellence de Sourdun, en Seine-et-Marne (premier du genre) qui célébrait ses dix ans, a estimé ce « surcoût » à 2 000 euros par élève et par an. Une somme « pas si importante que ça », selon lui, pour assurer la réussite scolaire des élèves de l’éducation prioritaire.

Le troisième volet du plan internat concerne la voie professionnelle, en pleine refonte : M. Blanquer a promis la « rénovation » ou le « développement » de 40 « internats des campus professionnels ». Leur originalité : garantir un hébergement plus souple, avec un accueil trimestriel ou mensuel (voire plus court), à la suite d’évènements familiaux ou pour des périodes de préparation d’examens par exemple.

« Levier de justice sociale »

En termes d’effectifs, l’objectif que s’est fixé le ministre de l’éducation est « mesuré » : 13 000 élèves supplémentaires, sur un total de 5,6 millions de collégiens et de lycéens, doivent pouvoir être accueillis dans les trois ans. Les moyens mis sur la table sont tout aussi mesurés, pointent déjà des élus : c’est sur les collectivités, départements et régions, que l’éducation nationale s’appuie pour développer les nouveaux bâtiments. La Banque des territoires se voit dotée d’un fonds de un milliard d’euros pour financer des prêts à leur intention. « Mais qu’en est-il des emplois ? », s’interrogent les syndicats d’enseignants.

« Au vu de l’ambition affichée, si on veut vraiment développer autre chose que quelques belles vitrines, il faudrait recruter des enseignants et des encadrants supplémentaires, souligne Catherine Nave-Bekhti, du SGEN-CFDT. Là-dessus, nous n’avons encore aucune précision. »

Ce plan est en tout cas soutenu jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, soulignent les observateurs de l’école : en déplacement à Laval pour la rentrée des classes en septembre 2018, le président Emmanuel Macron avait expliqué voir les internats comme « une chance offerte à toute notre jeunesse ». Une mesure qui, avec les dédoublements de CP et de CE1 et la scolarité à 3 ans, incarne une politique sociale en matière d’éducation.

M. Blanquer défend, lui, un « puissant levier de justice sociale ». Quelques semaines après son installation rue de Grenelle, en 2017, il lançait l’expression d’internat liberté. En mars 2018, il confiait une mission sur le sujet à Jean-Yves Gouttebel, président du conseil départemental du Puy-de-Dôme, ainsi qu’à l’inspecteur général Marc Foucault. Tous deux étaient présents à ses côtés lundi, pour défendre ce « modèle ».

« J’ai fait toutes mes études secondaires comme interne, a confié à cette occasion M. Gouttebel, par ailleurs vice-président de l’assemblée des départements de France. Et ça a été une catastrophe : j’ai dû redoubler ma 6e. C’est ce qui m’a donné envie de contribuer à en faire quelque chose qui donne envie. »