Le président chinois  Xi Jinping  et  le president américain Donald Trump avant une réunion pendant le sommet du G20 à Osaka le 29 juin. / BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

La Fed américaine et la banque centrale européenne ont l’une et l’autre ouvert ces dernières semaines la possibilité de recourir de nouveau à des programmes d’achats d’actifs. Après la tentative avortée en 2018 de sortir des politiques monétaires d’exception, les banques centrales se préparent ainsi à prolonger ce renoncement par un retour actif au fameux « Quantitative Easing », qui a si bien servi les marchés depuis dix ans.

C’est certainement l’évènement le plus important à ce jour pour les investisseurs en 2019, bien plus décisif que la saga des tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis. Cette politique dite non-conventionnelle qui a mené à tant d’irrationalité sur les marchés produira-t-elle les mêmes effets que par le passé ?

Cette irrationalité est difficilement contestable : la quantité de dettes obligataires qui affichent des taux négatifs (c’est-à-dire où c’est le prêteur qui rémunère l’emprunteur !) atteint désormais 13 000 milliards de dollars dans le monde, la dette mondiale atteint 317 % du PIB mondial, soit son plus haut niveau historique, ce qui n’a pas empêché l’indice actions américain S & P500 de dépasser lui aussi son plus haut niveau historique.

Mais cette irrationalité s’est presque banalisée, du fait de son parrainage depuis une décennie par toutes les grandes banques centrales. En effet, ces dernières se sont visiblement engagées à éviter « à tout prix » une récession, évènement perçu probablement à juste titre comme potentiellement dévastateur pour des économies surendettées.

Irrationalité de long terme

Cet engagement, qui a fait acheter par les banques centrales sans considération de prix quelque 13 000 milliards de dettes d’Etat, se renforce d’autant plus qu’il échoue à relancer l’économie, ce qui a permis aux marchés financiers de s’installer confortablement dans une irrationalité de long terme.

En creux, cela signifie que depuis dix ans, tout investisseur en actions attaché à la rationalité a probablement manqué au moins en partie un formidable marché haussier (sur cette période, la performance moyenne annuelle de l’indice actions américain S&P 500 a été de 14 %). Dangereux donc d’ignorer la logique imparable de cette irrationalité si elle est relancée par des acteurs aussi puissants et respectés que les banquiers centraux.

On ajoutera que, la Fed ayant les poches les plus profondes, c’est principalement le retour d’une plus grande abondance de liquidités en dollars qui est attendue, ouvrant la voie d’un affaiblissement du billet vert, qui réjouirait tous les pays qui se sont endettés dans cette monnaie.

De nombreuses hypothèses

De nombreuses issues finales à cette irrationalité sont envisageables, et peu d’entre elles semblent particulièrement heureuses pour les investisseurs. On peut imaginer que cette situation n’est pas de fin. Cette hypothèse paresseuse ressemble néanmoins trop à un rêve pour ne pas être suspecte.

A l’inverse, l’arrêt délibéré de l’abondance monétaire par un banquier central courageux est théoriquement possible mais qui, fût-il banquier central, voudra prendre la responsabilité d’une crise financière majeure ? Pourtant une perte de crédibilité des banques centrales, qui à force de fuite en avant et d’incapacité avérée à relancer la croissance, pourrait pousser à des comportements spéculatifs à des niveaux excessifs qui un jour feront vaciller la confiance.

Une relance fiscale, financée par un soutien des banques centrales surmultiplié est un interdit depuis 2009. Cette rupture avec l’orthodoxie budgétaire, potentiellement très pénalisante pour les marchés obligataires, serait sans doute très perturbante pour les marchés d’actions. Il en serait de même avec la taxation brutale des épargnants pour financer des mesures de relance au profit des consommateurs.

Autre possibilité, le protectionnisme : c’est l‘option privilégiée par les pays qui s’estiment suffisamment forts pour prélever sur les autres les revenus qui leur manquent. Mais combien d’investisseurs oseront à court terme se priver des bienfaits d’une énième relance monétaire, sur l’autel d’une sobre lucidité quant aux formes peu encourageantes que pourrait prendre la fin de l’histoire ? La fausse rationalité du mot d’ordre lancé en 2007 par Chuck Prince, alors Président de Citibank, berce encore beaucoup oreilles : « tant que la musique continue, il faut se lever et danser ».