Les agriculteurs français ont commencé à se rassembler dans toute la France, mardi 2 juillet dans la soirée, pour manifester leur rejet de l’accord de libre-échange trouvé entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay). Les agriculteurs dénoncent les profondes « distorsions de concurrence » qu’ils craignent de subir avec l’importation de denrées agricoles d’Amérique latine produites selon des standards de moindre qualité et à moindre coût.

« L’esprit, c’est de se mobiliser contre cet accord qui crée d’énormes distorsions de concurrence entre les agriculteurs français et les autres », ont indiqué à l’Agence France-Presse (AFP) des responsables des Jeunes Agriculteurs (JA), qui ont lancé un appel national avec le principal syndicat FNSEA, prévoyant « beaucoup de sorties de tracteurs ». Même le très vénérable Conseil de l’agriculture française, qui réunit l’ensemble de la profession agricole (syndicats, coopératives, banques, assurances, Sécurité sociale), a solennellement « alerté » le gouvernement sur les « déséquilibres » qui seraient générés sur certaines filières agricoles par « l’actuel projet d’accord ».

Plus tôt dans la journée, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a indiqué que Paris n’était « pour l’instant pas prêt à ratifier » l’accord UE-Mercosur conclu le 28 juin et qui suscite de nombreuses critiques en France comme en Europe. Devant l’Assemblée nationale, le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, a ajouté que la France « a défini des lignes rouges fermes » sur des dispositions que cet accord devra contenir, faute de quoi elle ne l’acceptera pas.

« Ras-le-bol » des éleveurs

Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine (FNB) et éleveur dans le Cantal, a annoncé à l’AFP son intention de se rendre devant la préfecture d’Aurillac pour dénoncer « les incohérences du gouvernement » et « montrer le ras-le-bol » des éleveurs.

Dans la Loire, une soixantaine d’agriculteurs ont symboliquement déposé dans le calme leurs vêtements et leurs bottes devant la préfecture de Saint-Etienne. Le préfet est venu à leur rencontre. « Nous lui avons fait part de l’absence de cohérence entre cet accord et les engagements sur les objectifs annoncés en faveur d’une alimentation saine », a raconté Guillaume Tailland, directeur de la FDSEA du département.

A Lille, une trentaine de personnes ont organisé un barbecue devant la préfecture avec quelques tracteurs et des pancartes tricolores : « J’aime manger français. » D’autres rassemblements nordistes étaient prévus à Senlis et Arras. Une délégation d’agriculteurs a rencontré la préfète du Gers à Auch. Une rencontre similaire était prévue dans le Tarn, tandis que des appels au rassemblement devant les préfectures à partir de 20 heures se sont multipliés.

« On nous a fait croire qu’on était sur l’île européenne et, aujourd’hui, on voit bien que l’île européenne n’est plus étanche, alors qu’on nous disait de monter en gamme », a déclaré Thierry Coué, président de la FRSEA (fédération régionale) de Bretagne. « Il y a énormément de révolte et d’insatisfaction » chez les agriculteurs français, a résumé la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, évoquant des « actions de protestation tous azimuts ».

Dans les Deux-Sèvres, une trentaine d’agriculteurs étaient attendus devant la préfecture de Niort et les deux sous-préfectures de Parthenay et Bressuire, mais pas avant 22 h 30 pour cause de récoltes.

Procédure de contrôle

« L’accord ne sera pas signé si, au niveau du bœuf, on n’a pas de certitude sur la traçabilité, pas de certitude sur le bien-être animal et sur les antibiotiques » administrés aux animaux, a affirmé le ministre de l’agriculture, Didier Guillaume, devant l’Assemblée nationale pour tenter de calmer le jeu.

Mais la Fédération des éleveurs bovins a jugé « impossible » une telle procédure de contrôle. « L’accord Mercosur, avec celui du Ceta [UE-Canada], provoquerait la disparition de 30 000 éleveurs en France », sur 85 000, et la perte de 50 000 emplois directs, a indiqué M. Dufayet, en se basant sur une étude publiée par l’Institut de l’élevage.

« N’importons pas l’agriculture dont nous ne voulons pas », a déclaré Mme Lambert, évoquant « des activateurs de croissance antibiotiques sur les animaux pour qu’ils poussent plus vite » et des conditions d’élevage « où bien-être animal, ce n’est même pas un mot connu du vocabulaire de ces pays-là ». « On ne peut d’un côté dire : “Montez en gamme, faites beau, faites bien, faites bien-être”, et en même temps ouvrir les vannes à tout-va », a-t-elle ajouté.

Dans ce contexte, FNSEA et JA ont demandé, dans une lettre ouverte au président Emmanuel Macron, de les recevoir « dans les plus brefs délais ». « Les consommateurs devraient être beaucoup plus bavards et notre salut passera par les consommateurs qui diront : “Ce n’est pas ce que nous voulons dans nos assiettes” », a conclu Mme Lambert.