Les résultats du bac tombaient ce vendredi 5 juillet / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

C’était, aujourd’hui, le jour J pour les 743 000 candidats au bac 2019. Pour un petit nombre de lycéens de terminale, la situation est encore incertaine ce vendredi 5 juillet. Un mouvement de grève des correcteurs, qui protestent contre la réforme du bac, a perturbé le fonctionnement des jurys – la moyenne de l’année a pu être utilisée en remplacement de la note à l’épreuve.

Selon le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, 1 % des candidats seraient touchés par ce mouvement de grève, qui a conduit des professeurs à ne pas entrer les notes du bac et, dans certains cas, à conserver les copies de l’examen.

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Philippe Tournier, proviseur du lycée Victor-Duruy à Paris et ancien secrétaire général du SNPDEN-Unsa, défenseur de la « réforme Blanquer », et Nadia, professeure gréviste de l’académie de Créteil, ont répondu aux questions des lecteurs du « Monde » sur le bac et la réforme du lycée, à l’occasion d’un tchat.

Voici des extraits des questions posées par les lecteurs, et les réponses de nos invités.

Nadia, pouvez-vous expliquer pourquoi vous êtes en grève ?

Nadia : Je suis en grève à cause de la réforme, principalement sur sa mise en place, qui a été extrêmement précipitée. Je suis contre ce nouveau bac qui sera presque à moitié constitué de notes de contrôle continu et qui, donc, perdra son caractère national et homogène.

Je vais devoir, dès décembre 2019, faire passer des évaluations du bac à mes élèves de premières, alors que j’aurais eu à peine le temps de les entraîner. Au lieu de stresser l’année de terminale, cela sera deux années de stress pour certains élèves, notamment les plus faibles.

En étant en grève, que risquez-vous à part une retenue de votre salaire ?

Nadia : Je vais perdre 1/30e de mon salaire par jour de grève, donc trois journées pour mon cas. J’ai décidé de reprendre mon service aujourd’hui et de rendre les copies dans la journée. D’autres collègues ont choisi de poursuivre la grève, car M. Blanquer a accepté de recevoir une délégation ce lundi.

Une fois de plus, des enseignants font grève pour des raisons politiques et non professionnelles. Ce n’est pas le rôle des syndicats d’enseignants de définir la politique scolaire de la nation.

Nadia : Je ne suis pas syndiquée. Un pays dans lequel un gouvernement n’échange pas avec le peuple (M. Blanquer a passé ses réformes en force, malgré les nombreuses manifestations et jours de grève depuis dix-huit mois), refuse la discussion, propose des dispositions illégales à sa convenance : on s’éloigne d’une démocratie. Je tiens à saluer mes collègues présents en jury hier qui ont refusé de participer à cette mascarade visant à substituer les notes manquantes par d’autres notes.

Pensez-vous que les recours seront plus nombreux cette année en cas de désaccord sur les résultats du bac ?

Philippe Tournier : Les conditions pour avoir davantage de recours semblent réunies, même s’il faudra attendre pour le savoir. Il est cependant probable que la plupart des élèves qui ont eu des « notes provisoires » [moyenne de l’année] seront gagnants.

Les élèves, leurs parents, certains professeurs ne sont-ils pas devenus plus revendicatifs avec le temps ?

Philippe Tournier : On a oublié ce qu’étaient les années 1960-1970… Ce qui a changé, c’est la véhémence liée aux réseaux sociaux et au moindre contrôle des organisations syndicales.

Les enseignants qui ont choisi de s’engager dans ce bras de fer et de faire participer les élèves au mouvement contre les réformes Blanquer ont-ils pesé le pour et le contre ?

Nadia : Dans l’établissement où j’enseigne, les élèves se sont engagés contre la réforme, bien avant les profs ! Cela fait dix-huit mois que nous faisons grève, manifestons, mais sans que cela n’atteigne le grand public. Nous nous sommes sentis ignorés par les médias, qui étaient occupés notamment par les « gilets jaunes », aux modes d’action plus spectaculaires que les nôtres. La seule visibilité que nous avons eue a commencé avec les surveillances du bac. Comme M. Blanquer a refusé de dialoguer avec nous, nous avons poursuivi.

Aujourd’hui, notre mobilisation gagne enfin en visibilité. Pour les candidats, qu’ils se rassurent : leurs copies seront bien restituées, avec de véritables notes correspondant à leur effort et au travail fourni. Effectivement, il y aura eu un retard, probablement du stress en plus, mais nous ne faisons pas cela pour notre image, celle-ci est déjà écornée depuis bien longtemps. Nous nous battons pour l’avenir de nos élèves avec cette réforme.

Est-ce que tous les établissements auront toutes les spécialités du futur bac ?

Philippe Tournier : Il n’a jamais été question que tous les établissements offrent toutes les spécialités, pas plus qu’ils n’offraient toutes les séries et toutes les options. Sept (des douze) spécialités sont présentes presque partout, mais tous ont accès aux spécialités qui pourraient être déterminantes pour le supérieur (mathématiques et physique pour les formations d’ingénieur, SVT pour Paces, etc.).

A moins d’une bonne dose d’hypocrisie, tout le monde sait qu’un 10/20 à Henri-IV ce n’est pas le 10/20 d’un lycée du 93. Partant de ce constat, contre quoi vous battez-vous et quelles solutions proposez-vous ?

Nadia : Nous sommes bien conscients de cet état de fait. Justement, le bac permettait de lisser cela, d’effacer les provenances et de permettre à un candidat de Seine-Saint-Denis d’éprouver la même fierté qu’un autre d’avoir 18/20.

Le contrôle continu, la perte de l’anonymat à 40 % nous mettent, enseignants, dans une situation inconfortable. Nous allons évaluer nos propres élèves, et bien évidemment nous voulons les voir réussir. Qui dit que certains ne surévalueront pas leurs élèves ?

Nous nous battons contre cette réforme basée sur les effets d’annonce « qui font bien sur le papier » mais qui ne sont pas applicables dans de bonnes conditions.

Par ailleurs, les options cinéma, musique, théâtre et arts plastiques ne compteront que pour 1 % de la note finale du bac. Quand les élèves auront compris le peu d’intérêt stratégique, ils se détourneront de ces options par manque de temps.

Vous oubliez que le baccalauréat n’est pas un concours pour entrer dans le supérieur, mais un diplôme qui couronne la fin des études secondaires…

Philippe Tournier : Le baccalauréat est le premier grade universitaire et il s’agissait historiquement d’un examen d’entrée à l’université. D’ailleurs, sans le bac, il est toujours impossible d’y entrer. La réforme vise à le remettre dans ce rôle pour éviter de continuer à avoir 85 % de reçus au baccalauréat et 65 % d’échecs au terme de la première année d’enseignement supérieur.

Aujourd’hui, le recrutement dans le supérieur, sur la plate-forme Parcoursup, se fait uniquement sur la base du contrôle continu à partir des bulletins, alors que demain il pourra s’appuyer sur des épreuves nationales anonymes de spécialités [qui auront lieu plus tôt dans l’année]. L’établissement d’origine prendra alors moins d’importance.

Ne sera-t-on pas tenté en tant qu’enseignant de monter les notes de ses élèves pour qu’ils puissent espérer un lendemain valable sur Parcoursup ? Par ailleurs, un grand oral ne va-t-il pas rajouter du stress au stress des lycéens ?

Nadia : Heureusement qu’il n’est pas possible de le faire. Ce qui reste encore du bac, c’est l’anonymat des copies. L’algorithme ne voit que des notes, des résultats. Quid d’un bachelier qui aurait connu un décès d’un proche ou subi du harcèlement scolaire ? Ses résultats en baisse ne pourront être justifiés devant un ordinateur, et cela m’exaspère. Le grand oral proposé est un moyen de revenir à un idéal d’ordre à l’ancienne, qui me fait penser au Service national universel (SNU). Oui, bien entendu que cela va rajouter du stress. J’en suis désolée pour ces élèves.

Ne pensez-vous pas que cette réforme nous rapproche enfin de ce que font nos voisins européens et que cela ne réussit pas si mal à leurs étudiants ?

Nadia : J’aimerais que nous nous rapprochions du modèle européen sur d’autres critères, par exemple le salaire des enseignants. J’aimerais aussi des équipements salubres, des salles de classe dont la peinture écaillée ne tombe pas sur les élèves, des classes de moins de trente élèves…

Je souhaite de tout cœur une réforme prenant compte de l’élève. Les longues journées de cours vont se rallonger avec cette réforme et la difficulté de mise en place des emplois du temps avec toutes les spécialités. Suivons l’exemple de nos voisins européens qui engagent le dialogue avec leurs enseignants, oui !