Eddy Merckx, pour bien des Belges, reste aujourd’hui encore « Le monstre sacré » comme le titrait, le 29 juin, le quotidien Le Soir, qui lui consacrait un supplément de 12 pages. / FRANCOIS LENOIR / REUTERS

Jeunes ou vieux, Flamands ou Wallons, nés à Bruges, Bruxelles ou Liège, ils connaissent le palmarès d’Eddy Merckx sur le bout des doigts. Et à ceux qui l’auraient un peu oublié, tous les médias belges se font un point d’honneur, depuis des jours, de le rappeler.

Cinq Tours de France (avec 34 étapes gagnées et 111 jours où il a porté le maillot jaune), cinq Giro d’Italie, trois championnats du monde, 28 grandes classiques, etc. Au total, 525 victoires - et un record de l’heure en 1972 - qui ont fini par agacer ses rivaux et une partie du public aussi : le coup de poing reçu dans l’ascension du Puy-de-Dôme et la victoire de Bernard Thévenet, en 1975, allaient marquer le début du déclin du « Cannibale ». Trois ans plus tard il rangeait sa bécane… et créait son usine de cycles, qui continue, dans le monde entier, à bénéficier de l’immense renommée de ce champion hors catégorie.

C’est essentiellement pour marquer la première victoire d’Eddy Merckx dans le Tour de France, en 1969, que le Tour de France s’élance cette année de Bruxelles, avec deux étapes partant et arrivant dans la capitale belge. La ville a déboursé 7 millions d’euros, les autres pouvoirs publics 4 millions, estimant que l’honneur à rendre au champion valait bien de tels investissements.

« Oh, mon dieu, mon dieu, Eddy !… »

Eddy Merckx, pour bien des Belges, reste aujourd’hui encore « Le monstre sacré » comme le titrait, le 29 juin, le quotidien Le Soir, qui lui consacrait un supplément de 12 pages. Le reporter Stéphane Thirion écrit de Merckx que « personne d’autre que lui n’a magnifié cette épreuve démesurée qu’est le Tour avec autant de panache et d’amour ». Aussi, écrit encore le journaliste, « Merckx s’est invité dans le cœur des Belges, pour l’éternité ».

Ils sont nombreux, en tout cas, comme le démontraient des conversations sur la Grand-Place de Bruxelles, jeudi 4 juillet, lors de la présentation des équipes, à se souvenir de ses victoires sur le Tour. « Papa arrêtait sa VW Coccinelle, ornée d’un portrait d’Eddy sur la lunette arrière, au bord des routes dans le Midi. Et on sautait de joie quand il gagnait ! », raconte Marc, un sexagénaire venu de Namur.

« On branchait la télé pour avoir les images du Tour, mais on coupait le son pour écouter les commentaires à la radio », raconte Monique, une Bruxelloise de 64 ans. Luc Varenne, commentateur sportif à la RTBF, ancien membre de la Légion étrangère et ancien résistant, a accompagné et amplifié toute la carrière de Merckx. Ses envolées, avec à la clé des « Oh, mon dieu, mon dieu, Eddy !… » ponctuant les victoires sont restées gravées dans bien des mémoires et, en les évoquant, Martine ne peut retenir une larme.

Ni Flamand ni francophone, « Belge »

Pour l’écrivain d’origine belge Patrick Roegiers - auteur, notamment, de La Belgique, le roman d’un pays, Gallimard, 2005 - Merckx reste en réalité, au même titre que Jacques Brel, Tintin ou René Magritte l’une des figures symboliques d’un âge d’or belge, d’un royaume alors uni et prospère. En remportant son premier tour en 1969 - un 21 juillet, jour de la Fête nationale ! - il clôturait en fait une décennie fastueuse pour son pays.

Ce soir-là, il était rapatrié de France en avion militaire et est acclamé comme un héros sur la Grand-Place de Bruxelles avant d’aller, à Laeken, offrir sa bicyclette au roi Baudouin. « Mais le vrai monarque est le roi Eddy, icône populaire, sportif belge le plus fameux du XXe siècle, seul comme Tintin à faire l’unanimité dans une contrée de discorde », écrit Roegiers.

Comme le héros d’Hergé, Merckx, devenu baron Edouard Merckx en 1996, n’est ni Flamand ni francophone. Il est né dans un petit village du Brabant flamand mais l’épicerie familiale était située à Woluwe-Saint-Pierre, dans la banlieue de Bruxelles. Et il gagna sa première compétition - à 16 ans - à Petit-Enghien, en Wallonie.

Le quintuple vainqueur du Tour dit qu’après la fin de sa carrière sportive plusieurs partis politiques désireux de bénéficier de son immense popularité lui ont proposé de figurer sur leurs listes mais il a toujours refusé. Par crainte d’être étiqueté et d’avoir à choisir entre une formation politique francophone et une néerlandophone.

Dans ce royaume où tout, ou presque, est scindé, il voulait rester neutre et unitariste. « Je suis Belge », répond-il fréquemment, honoré que l’actuel chef de l’Etat, le roi Philippe, voie en lui un homme « qui a contribué au rayonnement du pays et nous a procuré d’innombrables moments de joie et de fierté ».

Humilité

S’il parle couramment les deux langues nationales, Eddy Merckx, n’a, en tout cas, jamais aimé s’épancher et, à l’époque de ses exploits, les commentateurs vont s’amuser de la formule qu’il commence par opposer à toutes les questions : « Ecoutez, euh, non, pas du tout… »

En 2004, quand deux auteures ambitionnent d’interroger des dizaines de Belges connus sur leur notion du bonheur, certains se confient longuement. Sa réponse à lui tient en trois lignes : « Le bonheur, c’est surtout et avant tout la santé pour moi et pour mes proches. Mille petites choses précieuses offertes, ou à offrir quotidiennement. Un sourire, un geste, un mot ou, tout simplement, une présence ».

Il est ainsi, « Eddy ». Ne recherchant ni le bon mot, ni à se mettre en avant. Toujours un peu gêné de cette incroyable popularité, qui, pour ces Belges qui n’aiment ni la prétention ni l’arrogance, tient aussi à son humilité.

Ses supporteurs ont toujours en foi en ce champion, même quand le doute est né, quand il a été accusé de dopage au Giro, en 1969. Les enquêtes n’ont, à l’époque, rien démontré. Lui a parlé d’un complot et affirmé qu’on lui avait aussi proposé de l’argent pour qu’il abandonne et laisse gagner un Italien.

La rançon de la gloire, sans doute.