• Lise Davidsen
    Extraits d’opéras de Wagner et de Strauss. Lieder avec orchestre de Strauss. Philharmonia Orchestra, Esa-Pekka Salonen (direction).

Pochette de l’album de Lise Davidsen. / Decca/Universal Music.

Au dernier Festival d’Aix-en-Provence, alors que Katie Mitchell faisait accoucher l’héroïne d’Ariane à Naxos comme une simple mortelle, le public assistait à une autre parturition, la naissance d’une voix dont le mirage sonore rappelait la grande Kirsten Flagstad. A 32 ans, Lise Davidsen a reçu en partage non seulement les mêmes origines de la mythique soprano norvégienne, mais aussi de similaires moyens vocaux infinis. Des aigus en acier trempé, des graves profonds comme des tombeaux, un médium voluptueux, la jeune femme est une tragédienne-née et sera une wagnérienne accomplie. Noblesse et sensibilité, puissance et finesse, il faut écouter l’Elisabeth dans Tannhäuser qu’elle chantera pour la première fois cet été à Bayreuth, et plus encore les Quatre derniers lieder de Strauss, créés par sa devancière, voilés de crêpe noir, veufs, ténébreux, inconsolés. Marie-Aude Roux

1 CD Decca/Universal Music.

  • Régis Campo
    Street-Art

    Sélection d’œuvres de Régis Campo par Sylvia Vadimova (mezzo-soprano) et l’ensemble TM + sous la direction de Laurent Cuniot.

Pochette de l’album « Street-Art », de Régis Campo. / SIGNATURE RADIO FRANCE/OUTHERE

Régis Campo semble concevoir la musique comme un manège où les pulsations clignotent, les rythmes jouent à cache-cache et les mélodies tournicotent en changeant de couleur. Le compositeur, né en 1968, est un adepte de l’expression ludique. Comme il ne manque ni d’idées ni de métier, ses œuvres sont souvent plaisantes, à l’instar du très synthétique Street-Art, qui donne son titre à ce programme aux allures de portrait polychrome. Toutefois, cette fresque monumentale est un peu le tag qui cache la forêt de graffitis à découvrir dans le disque. Que le trait soit appuyé (Sometimes With the Heart, Oh Sweet Kisses !) ou allégé (Morgenstern Lieder, Une solitude de l’espace), la séduction est au rendez-vous. Grâce, bien sûr, aux musiciens de l’ensemble TM+, qui investissent le cirque captivant de Campo avec un triple talent de clowns, de prestidigitateurs et d’équilibristes. Pierre Gervasoni

1 CD Signature Radio France/Outhere.

  • Black Midi
    Schlagenheim

Pochette de l’album « Schlagenheim », de Black Midi. / ROUGH TRADE/BEGGARS

La presse britannique (The Times, The Guardian…) s’est entichée, voilà six mois, de ce jeune quartette rock londonien, dont le premier album vient de paraître chez Rough Trade, label indé britannique de référence. Formés à la prestigieuse BRIT School for Performing Arts and Technology, Georgie Greep (chant, guitare), Cameron Picton (basse, voix), Matt Kwasniewski-Kelvin (guitare) et Morgan Simpson (batterie) bousculent l’orthodoxie rock insulaire en créant un style hybride, voire débridé, de math rock, de déflagration bruitiste et de post-punk tendance arty. Enregistré en cinq jours, sous la houlette du producteur Dan Carey (Hot Chip, Franz Ferdinand), Schlagenheim prend un malin plaisir à déconstruire les structures de ses compositions, tout en parvenant à maintenir une assise rythmique hypnotique. Entre de spectaculaires bourrasques électriques (953, Of Schlagenheim), on discerne une accalmie dissonante façon Sonic Youth (Speedway) ou des lignes de guitare elliptique à la King Crimson (Ducter). Le résultat pourrait s’avérer hermétique, mais la présence d’un batteur exceptionnel insuffle une dynamique à cet étrange magma sonique. Franck Colombani

1 CD Rough Trade/Beggars.

  • Freddie Gibbs & Madlib
    Bandana

Pochette de l’album « Bandana », de Freddie Gibbs & Madlib. / KEEP COOL/RCA RECORD

Dans la culture hip-hop, les albums rap les plus réussis, devenus des classiques avec le temps, ont souvent été ceux qui savaient restituer l’atmosphère d’une ville, d’un quartier. Le Bandana de Freddie Gibbs & Madlib, deuxième collaboration du rappeur de l’Indiana et du producteur californien Madlib, est de ceux-là. Leurs quinze morceaux plongent l’auditeur dans l’ambiance de Gary, la ville natale du rappeur, dans la région des Grands Lacs américains, à la croisée du blues électrique de Chicago, du jazz new-yorkais, et d’une soul crade et poisseuse venue du Sud. Atmosphère musicale parfaitement retranscrite sur des morceaux tels que Obrigado, Freestyle Shit ou Practice. Freddie Gibbs y raconte ses tourments entre son passé de dealer de cocaïne et ses aspirations à être un modèle positif en distribuant aux jeunes démunis de sa ville des fournitures scolaires. Une envie qu’il partage sur le morceau Education avec deux MC illustres, Yasiin Bey (ex-Mos Def) et Black Thought des Roots. Autres collaborations du disque, Pusha T, Killer Mike et Anderson .Paak contribuent à la réussite de cet album. Stéphanie Binet

1 CD Keep Cool/RCA Records.

  • Chilla
    Mün

Pochette de l’album « Mün », de Chilla. / SUTHER KANE/CAPITOL

Depuis le succès de Diam’s en 2006 avec l’album Dans ma bulle, la scène musicale française se cherche une nouvelle reine du rap. Jeune Lyonnaise, Chilla pourrait être cette héritière. Après de nombreuses vidéos sur YouTube, au ton souvent vindicatif contre le machisme ambiant, à l’instar de Sale Chienne ou Si j’étais un homme, la jeune femme dévoile une personnalité plus douce et sombre sur ce premier album, Mün, où cette ancienne violoniste a composé quelques morceaux avec le producteur Fleetzy. Elle a le flow technique d’une Diam’s sur Jungle et Am stram gram et donne la réplique à ses homologues masculins, Gro Mo sur Ego ou Kalash sur Ollie. Quand elle se sent trop fragile pour l’écriture, elle n’hésite pas à faire appel à son aîné, Youssoupha, notamment pour les titres qui racontent, entre autres, le combat de sa mère sur 1er Jour d’école et ses angoisses nocturnes pour La Nuit. Un premier album encourageant. St. B

1 CD Suther Kane/Capitol.

  • Hot chip
    A Bath Full of Ecstasy

Pochette de l’album « A Bathfull of Ecstasy », de Hot Chip. / DOMINO RECORDS

Pas sûr qu’un additif chimique ait été nécessaire à la production de ce « bain d’extase ». Si, depuis le début des années 2000, les Londoniens de Hot Chip puisent dans l’euphorie de la house matière à sécréter de l’endomorphine pop, leur savoir-faire mélodique se préoccupe plus des émotions du quotidien que des paradis artificiels. Ce septième album polit ainsi avec délicatesse l’ordonnancement des rythmes et des harmonies, en invitant la mélancolie sur les pistes de danse (Spell, Hungry Child, Clear Blue Skies), comme ont pu le faire avant eux les aînés de New Order ou de Talk Talk. Mais l’énergie collective du groupe et l’écriture de ses coleaders, Alexis Taylor et Joe Goddard, cultivent surtout une luminosité déclinant les nuances du bonheur. Malgré des voix toujours un peu lisses (l’éternel défaut de Hot Chip), les chansons, bien servies par les réalisations de Rodaidh McDonald (The xx, King Krule…) et du regretté Philippe Zdar, s’étirent (la plupart dépassent les cinq minutes sans ennuyer) jusqu’à une gracieuse béatitude. Stéphane Davet

1 CD Domino Records.

  • Luedji luna
    Um Corpo no Mundo

Pochette de l’album « Um corpo no mundo », de Luedji Luna (Sterns Music/Pias)

Elle est née à Salvador de Bahia, la « ville de tous les saints », dédie cet album délicat et envoutant (son premier) à Yansa, déesse des Vents et des Tempêtes dans le candomblé, et à toutes les forces invisibles qui la guident sur son chemin. Elle porte un prénom africain (d’origine bantoue). La conscience de son rapport à l’Afrique, elle la doit sans doute d’abord à ses parents, militants de la cause noire au Brésil. Ce sentiment a résonné comme un appel pour elle, l’a embarquée, poussée à creuser, à approfondir, à militer, elle aussi. Et à écrire des chansons, interprétées d’une voix gracieuse, au timbre légèrement voilé, dans une atmosphère intimiste tissée de sonorités acoustiques (guitares, percussions…). L’enregistrement, fait à Sao Paulo, où la chanteuse vit depuis trois ans, a été réalisé avec la complicité compétente de Sebastian Notini, producteur suédois installé au Brésil, qui a travaillé avec, entre autres, Tigana Santana et Virginia Rodrigues. Patrick Labesse

1 CD Sterns Music/Pias