6 juillet 2019. Des membres de partis politiques algériens, des représentants de la société civile et des personnalités nationales se sont réunis pour imaginer un chemin vers une élection présidentielle. (Photo de RYAD KRAMDI / AFP) / RYAD KRAMDI / AFP

« Cette journée est le résultat du travail de partis politiques d’opposition qui se sont réunis presque chaque semaine depuis le mois de février », se réjouit Lakhdar Benkhelaf, député du parti El Adala, dont le leader Abdellah Djaballah est un des initiateurs de ces discussions au sein d’un groupe intitulé « les Forces du changement ».

Dans les immenses locaux de l’école d’hôtellerie de Ain Benian, en périphérie ouest d’Alger, ce samedi 6 juillet, se tient le « Forum national du dialogue ». « L’objectif c’est d’arriver à un consensus entre les différentes initiatives politiques. Nous voulons mettre en place une plateforme de sortie de crise qui sera utilisée pour le dialogue avec les autorités », explique le député. Une plateforme « ouverte à tous », sauf à ceux qui ont « soutenu le 5e mandat » de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika ou qui ont participé à ses gouvernements. « C’est une base pour un dialogue global, qui doit aboutir à la mise en place de garanties d’un scrutin transparent, régulier et crédible », a pour sa part expliqué Abdelaziz Rahabi, ancien ambassadeur et ancien ministre de la communication, qui coordonne la rencontre.

L’initiative est inédite de par le nombre de personnalités politiques qu’elle rassemble. Dans la salle, en effet, plus de 80 personnes, représentants de partis politiques ou de syndicats, universitaires, sont assises autour d’une immense table recouverte d’une nappe de feutre vert. Autour d’Abdelaziz Rahabi, siège Abderrezak Makri, leader du MSP, Ali Benflis, ancien Premier ministre, Sofiane Djilali, le président de Jil Jadid, ou encore Ali Fawzi Rebaine, candidat plusieurs fois déçu à l’élection présidentielle, et même Kamel Guemazi, ancien leader de l’ex Front islamique du salut. Autour d’eux, plusieurs centaines d’acteurs de la société civile, venus de différentes régions du pays (dont ceux qui s’étaient déjà réunis et avaient adopté une déclaration commune le 15 juin dernier).

Une élection rapidement

« En termes d’idéologie, les personnes présentes représentent plutôt les courants nationalo-islamistes », analyse le sociologue Nacer Djabi. Parmi les partis politiques en présence, l’opinion majoritaire veut aller vers une élection présidentielle assez rapidement, et pour y parvenir, elle souhaite lancer le dialogue avec les autorités. Mais avec des préalables. « Il n’est pas possible de dialoguer alors que des jeunes et des anciens combattants sont en prison pour avoir participé à une manifestation, avoir arboré l’emblème amazigh ou même avoir critiqué les dirigeants du pays », a déclaré Sofiane Djilali, président du parti Jil Jadid. Ces vingt derniers jours, en effet, plus d’une quarantaine de personnes ont été arrêtées lors des manifestations. Dans la capitale, 34 manifestants sont en détention provisoire pour avoir porté un drapeau berbère.

Le Forum national du dialogue avait promis de faire la part belle à la société civile. Certains ont fait le déplacement avec des réticences, craignant notamment que les partis politiques « surfent sur la vague de la mobilisation populaire ». En début d’après-midi, au micro, ils ont fait entendre leur colère. « Ce matin, on aurait dit une campagne électorale. C’est le même langage qu’on entend depuis vingt ans », s’emporte le représentant d’une association de jeunes de Tissemsilt. « Pourquoi donne-t-on la parole aux partis politiques en premier, et à la société civile ensuite, alors que les chefs de partis politiques sont partis ! Est-ce que c’est un vrai dialogue ? » tonne, pour sa part Djamel Ghoul, représentant du syndicat des imams. D’autres, à l’instar d’une étudiante, critique la composition de l’assemblée. « Où sont les jeunes ? Nous sommes ceux qui animons les manifestations, nous sommes l’avenir de ce pays », insiste-t-elle.

Les participants soulignent cependant que la sortie de crise doit passer par le dialogue. « Il faut arriver au dialogue avec l’état, quitte à taper du poing sur la table. Parce que sinon, ce sera la confrontation », estime la constitutionnaliste Fatiha Benabbou, qui participe aux réunions des partis d’opposition depuis 2014. « L’étape d’aujourd’hui était nécessaire. Il n’y a pas d’autre alternative que de dialoguer. Mais j’espère que les partis politiques ont compris qu’il faut inclure d’avantage la société civile, sinon on retourne aux réflexes de l’époque Bouteflika », ajoute Emir Berkane, représentant du réseau d’associations écologistes Probiom. Le message est clair. Reste à savoir s’il sera partagé.