Jill Ellis dirige la sélection américaine depuis 2014. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Une équipe peut-elle gagner malgré son sélectionneur ? Autrement dit, les footballeuses américaines sont-elles si fortes qu’elles gagneraient avec n’importe quel entraîneur ? Cette interrogation, qui agite les observateurs américains, vise directement Jill Ellis, et son influence sur les performances de cette machine à gagner impitoyable que forment Megan Rapinoe, Alex Morgan et leur bande.

Pourtant, dimanche 7 juillet, Ellis prendra place sur le banc du Parc OL pour sa deuxième finale de Coupe du monde consécutive. Et, face aux Pays-Bas, elle a de grandes chances de devenir la première sélectionneuse à gagner deux titres mondiaux d’affilée. Le décalage entre la réalité des résultats et la perception de la coach est grand.

Durant cette Coupe du monde, un match a cristallisé les critiques contre les choix d’Ellis. En huitième de finale le 24 juin, contre toute attente, les Espagnoles mettent en danger les favorites Américaines. Le score reste longtemps bloqué à 1-1 et devant, les titulaires habituelles ont toutes les peines du monde à se montrer dangereuses.

Mais le premier changement n’intervient qu’à la 85e minute de jeu lorsque Morgan cède sa place à Carli Lloyd. Lindsey Horan entre également en fin de rencontre alors que la décision a été faite grâce au deuxième penalty de Rapinoe et qu’elle est sous la menace d’une suspension en cas de nouveau carton jaune.

Un coaching critiqué notamment face à l’Espagne

La presse américaine n’a pas manqué de confronter Ellis à ses décisions tardives. Dans un article de SBNation, un média américain spécialisé sur le sport, Kim McCauley se montre caustique vis-à-vis de la coach en endossant son costume : « Si je passe l’entraînement assis sur une chaise à siroter du thé glacé et en criant de temps en temps’C’est bien les filles, on continue’, je serai quand même capable de mener l’équipe en 8es. Et on pourrait même gagner. C’est la qualité de cette équipe. Elle est bien plus talentueuse que les autres. »

En tout début de compétition, l’ancienne gardienne charismatique, Hope Solo, championne en 2015 sous les ordres d’Ellis, a elle aussi critiqué son ex-sélectionneuse. Selon Solo, Jill Ellis ne fait pas progresser Team USA car elle ne parlerait par exemple jamais des erreurs de l’équipe lors des séances vidéos d’après-match pour « ne pas contrarier les ego des joueuses. »

« Ce n’est pas le leader que je souhaiterais qu’elle soit. Elle s’appuie beaucoup sur ses entraîneurs adjoints. Elle craque beaucoup sous la pression, a-t-elle déclaré à la BBC. Mais souvent, cela n’a aucune importance, car la qualité de l’équipe américaine est superbe. Nous avons une tradition gagnante, et peu importe qui nous entraîne, nous trouverons un moyen de gagner. »

Jill Ellis avait répondu à sa manière, sans vouloir polémiquer. « Les commentaires sont des commentaires. Personnellement, j’ai le sentiment au cours des cinq dernières années que j’ai pris beaucoup de décisions importantes et que j’ai les capacités de les prendre », a-t-elle répliqué.

Au Monde, la double championne du monde 1991 et 1999, la pionnière Brandi Chastain, tient le même discours quant à Jill Ellis. « D’abord et avant tout, elle se lève rarement pour donner des instructions ou pour montrer des émotions au bord du terrain. C’est plutôt un de ses adjoints masculins qui le fait, reproche la Californienne. Elle devrait être celle qui donne des informations si c’est son équipe qui joue. »

Dès sa nomination en 2014, le choix de Jill Ellis, née à Portsmouth en Angleterre il y a 52 ans, n’avait pas fait l’unanimité. Débarquée avec sa famille aux Etats-Unis à l’âge de 15 ans, pour suivre son père qui venait d’y trouver un nouveau travail, l’adolescente découvre le soccer et joue modestement pendant quelques années.

Jill Ellis pendant la demi-finale remportée face aux Anglaises. / Francisco Seco / AP

La jeune femme se tourne rapidement vers la carrière d’entraîneur et va rester vingt-deux ans au sein du football universitaire, dont onze ans à la tête de l’équipe de UCLA, la prestigieuse université californienne (1999-2010). Dans le même temps, dès l’année 2000, elle entre dans le giron fédéral et occupe différents postes auprès des sélections de jeunes et en tant qu’adjointe des A.

« Ce n’est pas Phil Neville (le sélectionneur des Anglaises, ex-joueur de Manchester United), ce n’est pas quelqu’un qui se met en avant. Elle n’a pas fait une grande carrière de joueuse, elle a grandi en Angleterre où les filles ne jouaient pas au foot, elle est devenue américaine et est restée longtemps imprégnée du jeu universitaire. Ensuite, elle est devenue un peu apparatchik de la fédération, analyse le journaliste du Wall Street Journal, Joshua Robinson. Quand tu as fait tout ça, tu comprends que tu fais partie d’un système et que ce n’est pas toi qui as construit cette équipe : elle avait du succès avant toi, elle en aura après toi. »

Titrée en 2015, un an après sa nomination, éliminée en quarts de finale des JO de Rio l’année d’après, une première dans une grande compétition pour les Américaines, Jill Ellis a remodelé sa sélection en vue de cette Coupe du monde. De nombreuses joueuses ont été testées et onze nouvelles ont été appelées pour le voyage en France.

La coach a également tenté de faire évoluer le jeu parfois stéréotypé de son équipe, en difficulté aux JO contre la Suède, qui avait choisi de défendre et de subir. « Je pense qu’il y a toujours des leçons précieuses. En 2015, pour moi en termes de tournoi majeur et de niveau senior, c’était la première fois », a-t-elle déclaré, consciente des progrès à réaliser.

La gestion des fortes personnalités

Malgré ces évolutions, la sélectionneuse ne fait toujours pas l’unanimité. Même un possible deuxième titre mondial ne semble pas convaincre les sceptiques. « Je ne pense pas qu’elle était qualifiée quand elle a été nommée. Avoir remporté la Coupe du monde lui a donné de la crédibilité, mais je ne suis pas convaincue qu’elle soit la personne qui a la vision nécessaire pour guider l’avenir footballistique de notre pays », juge Brandi Chastain.

Joshua Robinson reconnaît une qualité principale à l’entraîneuse, sa capacité à gérer un groupe des fortes personnalités. « Je ne suis pas un énorme fan d’Ellis mais je crois qu’elle a compris la chose la plus ardue quand tu diriges cette équipe : la gestion des tensions et des personnalités, analyse-t-il. Quand tu as un personnage tel que Rapinoe, ça peut mal se passer si tu essaies de la contraindre. Après la demie, elle a dit ´Je ne suis pas la policière de l’équipe’. Ça a du sens. »

Contre vents et marées, la sélectionneuse poursuit sa route. « Sur un match on peut critiquer des choix tactiques, malgré tout, elle est bien partie pour être double championne du monde. Pas grand-chose à redire quand tu gagnes. Finalement, elle doit bien faire les choses de manière juste. Surtout que ce Mondial était la Coupe du monde la plus difficile de l’histoire », lance Joshua Robinson.

Imperturbable, Jill Ellis n’est plus qu’à une étape de toucher à son but. Et d’entrer malgré ses contempteurs dans l’histoire du football mondial.