La sélectionneuse des Etats-Unis, Jill Ellis, pendant la demi-finale de la Coupe du monde féminine au Stade des Lumières à Lyon, le 2 juillet. / PHILIPPE DESMAZES / AFP

Dimanche 7 juillet à Lyon, la finale de la Coupe du monde féminine de football verra s’affronter les Etats-Unis et les Pays-Bas : 22 joueuses, arbitrées par quatre femmes, et entraînées par deux sélectionneuses. Quoi de plus naturel, pourrait-on dire. Pourtant les apparences peuvent être trompeuses. Notamment concernant le poste d’entraîneuse. Car les femmes étaient loin d’être majoritaires dans ce rôle durant le Mondial.

On comptait neuf équipes dirigées par des sélectionneuses : les Etats-Unis, les Pays-Bas, l’Allemagne, la France, le Japon, l’Italie, l’Afrique du Sud, la Thaïlande et l’Ecosse. Un record, certes, pour une Coupe du monde. Mais qui représente à peine plus d’un tiers des équipes qui étaient en lice (24).

Cette sous-représentation a plusieurs explications. « Peut-être qu’il y a un manque de confiance dans la qualité des femmes. Pourtant, cela fait quand même un moment qu’on a des entraîneuses sur le circuit et qui ont plutôt des très bons résultats », analyse Elisabeth Loisel, ancienne sélectionneuse des Bleues, de 1997 à 2007.

Qui connaît les entraîneuses des Etats-Unis April Heinrichs, Pia Sundhage, Jill Ellis, ou les Allemandes Tina Theune et Silvia Neid ? Toutes ont mené leur équipe à des titres mondiaux. Depuis la Coupe du monde 2003, les huit Mondiaux et tournois olympiques féminins ont été remportés par une équipe menée par une femme, à l’exception de la Coupe du monde 2011 remportée par les Japonaises, sous la direction de Norio Sasaki.

Cette année encore, pendant le Mondial, la réussite était au rendez-vous avec cinq équipes sur huit en quarts de finale entraînées par des femmes. « L’important est d’avoir les qualités nécessaires, pas d’être un homme ou une femme. Il faut aussi qu’il y ait les candidates appropriées », expliquait la sélectionneuse allemande Martina Voss-Tecklenburg, interrogée sur le sujet pendant ce Mondial.

Peu de femmes formées au plus haut niveau

Le problème est qu’historiquement peu de femmes ont été formées pour ce métier. « Il y a des femmes qui viennent surtout sur les diplômes de base, mais dès qu’on monte un peu dans la hiérarchie de la filière des diplômes, il n’y en a pas suffisamment », constate Elisabeth Loisel, actuellement entraîneuse nationale à la Fédération française de football.

Selon un rapport de la Fédération internationale de football (FIFA), présenté avant le Mondial 2019, 7 % des entraîneurs dans le monde, tout niveau confondu, sont des femmes soit 63 123 coachs. Mais peu d’entre elles se forment jusqu’au plus haut niveau pour entraîner des professionnels.

En France, seules trois femmes détiennent le précieux certificat : Elisabeth Loisel, Corinne Diacre (la sélectionneuse des Bleues) et Sarah M’Barek (qui, après Montpellier, entraîne à Guingamp). En Italie, on en compte trois, dont l’actuelle sélectionneuse nationale, Milena Bertolini, et aux Etats-Unis, trois, dont Jill Ellis qui a déjà remporté la Coupe du monde en 2015 avec les Américaines et vise un nouveau titre cette année.

La sélectionneuse des Bleues, Corinne Diacre, lors du match d’ouverture de la Coupe du monde féminine 2019 à Paris contre la Corée du Sud. / FRANCISCO SECO / AP

« Le sport est conçu pour et par les hommes »

Les hommes partent souvent avec plusieurs longueurs d’avance quand ils postulent à ces formations. Entre les ex-footballeurs professionnels, et les entraîneurs au plus haut niveau amateur, les candidats ont généralement pu faire leurs armes dans un foot masculin, structuré et reconnu depuis des décennies, contrairement aux championnats féminins.

Les rares femmes qui ont fait l’expérience de ces formations ont souvent fait face à des discriminations, et parfois à du harcèlement. C’est la conclusion d’un rapport de quatre universitaires (Donna De Haan, Annelies Knoppers, Nicole LaVoi, Leanne Norman), qui ont enquêté auprès de 14 coachs internationales de neuf pays, et qui ont présenté cette semaine leurs travaux à l’Equality Summit à Lyon, une série de conférences sur l’égalité hommes-femmes dans le football.

« Le sport est conçu pour et par les hommes, souligne Leanne Norman, docteure à l’université Leeds Beckett, en Angleterre. Ces coachs sont résistantes et fortes, elles se sont frayé un chemin à travers une structure qui ne leur était pas favorable. » Elisabeth Loisel garde un vif souvenir de ses premières formations en 1989. Elles étaient deux femmes sur une promotion de 103 et seul le sélectionneur de l’équipe de France féminine de l’époque, Aimé Mignot, avait accepté de les prendre dans son groupe. « J’ai perdu 5 kg, tout le monde attendait qu’on craque, se remémore-t-elle. Les choses ont bien changé, aujourd’hui, il y a plus d’empathie, une prise en compte des besoins des entraîneurs. »

Depuis quelques années, l’essor de la pratique féminine s’accompagne d’une crainte de voir des hommes venir par intérêt plus que par vocation. Lors de la précédente Coupe du monde au Canada, en 2015, l’ex-sélectionneuse anglaise, Hope Powell, avait déclaré avoir le sentiment que les femmes étaient « évincées ». « Tout à coup, la popularité du football féminin fait qu’il y a de plus en plus d’hommes qui trouvent le jeu intéressant et veulent en faire partie », avait-elle confié.

La sélectionneuse de l’équipe néerlandaise, Sarina Wiegman. / ALESSANDRA TARANTINO / AP

Des initiatives pour une féminisation

Depuis lors, les instances internationales poussent pour une féminisation de la profession. La FIFA a imposé, à partir de 2016, que toute équipe participant à la Coupe du monde féminine des moins de 17 ans ait au moins une femme dans son équipe dirigeante. Du côté de l’UEFA, ce quota devra être rempli pour toute compétition féminine à partir de 2020.

En France, dès septembre, la FFF va mettre en place un certificat spécial pour le football féminin. Le but est de former des ex-footballeuses et les entraîneurs hommes et femmes pour améliorer le niveau de compétence en D1 et D2 féminines. « Aujourd’hui, on a déjà une quinzaine de joueuses intéressées, dont certaines internationales », confie Elisabeth Loisel.

Après la vague de jeunes footballeuses inspirées par le parcours des Bleues jusqu’en demi-finale lors de la Coupe du monde féminine 2011, 2019 pourrait être un tournant chez les entraîneuses. La finale, disputée entre deux équipes menées par des femmes, pourrait servir de moteur.

« Les récits dans les médias se focalisent sur les joueuses, déplore toutefois Donna de Haan, on doit améliorer la visibilité des entraîneuses qui ont du succès ». La docteure à l’université d’Utrecht regrette de ne pas voir plus de portraits dans la presse de la sélectionneuse des Etats-Unis, Jill Ellis. Après tout, si elle remporte la finale dimanche, elle ne deviendra « que » la première femme à avoir mené une équipe au sacre mondial deux fois de suite.